dimanche 21 juin 2015

La cuisine moléculaire, à ne pas confondre avec la gastronomie moléculaire !

Qu'est-ce que la cuisine moléculaire ?

Ce fut, en 1980,  une proposition de rénover techniquement la cuisine. Rénover techniquement ? Rien ne vaut un exemple : la confection des bouillons de viande.  Tous les cuisiniers du monde font des bouillons, en mettant de la viande dans de l'eau, le matin, quand ils arrivent sur leur lieu de travail.

Pourquoi cette pratique ?

Historiquement le bouillon de viande était une façon de ne pas perdre les jus que la viande expulse, quand elle est chauffée, et qu'elle se contracte (oui, une viande chauffée se contracte). Ce bouillon servait à tremper la soupe, c'est-à-dire la tranche de pain qui était dans l'assiette (creuse). Puis le bouillon devint un des liquides essentiels du mouillement des viandes, pour les ragoûts, les daubes, les sauces. 

La préparation des bouillons est fastidieuse : après  plusieurs heures de cuisson, on récupère un liquide gras et trouble, qu'il faut donc dégraisser et clarifier. En pratique, le bouillon gras et trouble est mis en chambre froide,  pendant environ une heure. Puis, une fois la graisse solidifiée enlevée, on bat des blancs d'oeufs en neige et on les ajoute au bouillon dégraissé et froid. On réchauffe alors, puis, une fois que le blanc d'oeuf a coagulé  autour des particules de trouble, on filtre dans un chinois tapissé d'un linge propre plié en quatre. 

Que de complications, alors que les chimistes ont des ampoules à décanter et des filtres  à fritté ! Avec une  ampoule à décanter, j'ai proposé (en 1980, donc) de séparer la graisse du bouillon, sans mise au froid. Puis, à l'aide d'un fritté, on récupère le bouillon clair en quelques secondes. Le tout en quelques minutes, donc. En 1980, il était donc apparu que l'on pouvait  facilement moderniser les pratiques culinaires, et c'est cela qui a été nommé "cuisine moléculaire" : une cuisine qui se fait avec des matériels modernes. Au lieu  d'un fouet, un siphon. Au lieu d'une sorbetière, de l'azote liquide, et ainsi de suite. 

Aujourd'hui, la transition est (presque) faite, puisque de grandes enseignes populaires vendent des siphons. Il reste à améliorer le système, afin de ne pas avoir ces cartouches de gaz couteuses, mais c'est gagné... et l'on peut  passer à mieux : la cuisine note à note.
Cette fois, il s'agit de ne plus d'améliorer les ustensiles, les outils, mais de considérer les ingrédients. Plus précisément, la cuisine note à note se prépare à partir de composés, plutot que de viandes, poissons, fruits ou légumes. Mais c'est une autre histoire, pour une autre fois. 








Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)




mercredi 10 juin 2015

En sortant du 7e International Workshop on Molecular Gastronomy


(document préparé avec le concours de Stanislas Perrault)



Vient de s'achever le septième IWMG N.Kurti , le septième colloque international de gastronomie moléculaire. Des participants de 15 pays sont venus à AgroParisTech pour ce colloque organisé par le Centre international de gastronomie moléculaire AgroParisTech-INRA. Pendant 3 jours, ils ont considéré le développement international de la gastronomie moléculaire avec ses composantes de recherche scientifique et d’enseignement universitaire, en se focalisant sur des questions de traitement thermique des tissus végétaux, autrement dit la cuisson des légumes. 

Chacune des quatre sessions quotidiennes était centrée sur un point particulier susceptible d'être analysé tel que le gonflement des granules d'amidon dans les végétaux ou la déshydratation intra-moléculaire des "hexoses", ces sucres dont la cuisson conduit souvent à l’apparition d’un goût de cuit, ou encore les questions de changement de couleur...
Pour chaque session, un président de session était invité à présenter un bref état de l’art et à animer une discussion qui devait conduire à poser des questions scientifiques qui seraient étudiées ultérieurement. C’est bien ce qui s’est passé et les participants sont repartis avec une série de questions qu’ils peuvent maintenant explorer dans le silence de leur laboratoire. 

Lors des discussions plus statutaires, on a répété la différence entre gastronomie moléculaire, cuisine moléculaire ou même cuisine note à note,  et l’on a eu l'occasion de voir que la situation évolue dans de nombreux pays : la gastronomie moléculaire, recherche scientifique commence à mieux se distinguer de la cuisine moléculaire, qui est une forme de cuisine que l’on fait avec des ustensiles nouveaux. 

Tant que nous y étions à discuter de terminologie, le terme "scientifique" a été considéré aussi, car,  surtout ailleurs qu’en France,  les distinctions sont moins claires. Qui est scientifique ? Ceux qui ne font que de la recherche scientifique dans un laboratoire ? Ceux qui cherchent à appliquer les connaissances ainsi produites ? Et des enseignants qui enseignent la gastronomie moléculaire à l’université : sont-ils des scientifiques ? Et la gastronomie moléculaire peut-elle être le titre de leur enseignement ? 

On aura intérêt à ne pas oublier que,  dans les collèges et les lycées,  il y a des cours de physique ou de chimie : il peut donc y avoir des cours de gastronomie moléculaire où l’on enseigne les résultats, peu importe les qualifications des élèves. Autrement dit, il n’y a pas lieu d’être exagérément strict,  et même s’il est important de reconnaitre que la gastronomie moléculaire est une discipline scientifique qui se pratique donc par des scientifiques dans les laboratoires, il faut admettre qu’elle sorte des laboratoires pour aller contribuer à des enseignements variés. 

On notera d’ailleurs avec intérêt le fait que l’Université de Dublin organise maintenant des thèses en Culinary Arts où,  d’ailleurs,  la gastronomie moléculaire aura toute sa place. Bref, il n’y a pas lieu de refuser la présence d’amis à notre table,  et si nous devons garder une idée claire de ce qu’est la recherche scientifique, avec le mot "scientifique" pris dans l’acception de "sciences de la nature", on doit considérer la possibilité d’utilisation de la discipline dans des environnements variés, pédagogiques ou technologiques. 

Finalement, le colloque s’est achevé sur une série de décisions dont voici quelques unes : tout d’abord, nous nous retrouverons à nouveau en mai 2017 pour un nouveau colloque. Entre temps, certains participants auront produit un livre qui rassemblera des initiatives relatives à l’enseignement. Le partage des expériences sera au bénéfice de tous. Surtout  chacun d’entre nous aura commencé à soumettre des articles scientifiques au journal de gastronomie moléculaire (International Journal of Molecular Gastronomy), un journal en ligne, gratuit pour les auteurs et les lecteurs,  mais sans céder un pouce sur la rigueur du procédé d’évaluation. En revanche, le comité éditorial fera un premier passage pour améliorer les manuscrits, qui seront envoyés de façon complètement anonyme aux rapporteurs. Pour ces textes, on insistera sur la partie des "Matériels et méthodes", souvent sacrifiés aujourd’hui par manque de place dans les journaux scientifiques, et l'on adoptera une position nouvelle par rapport aux discussions des résultats : les discussions feront l’objet d’une partie séparée des résultats avec la possibilité pour les rapporteurs de présenter leur propre interprétation, ce qui évitera des discussions classiques qui n’ont pas lieu d’être dans les revues organisées autrement. 

Le fait que ce journal soit en ligne permet beaucoup plus de flexibilité et conduira immanquablement à une amélioration des processus de publication et d’évaluation par les pairs,  ce qui est la condition de la publication de résultats de grande qualité. 

Il y a eu bien d’autres décisions prises lors de la séance de conclusion de notre colloque, mais je les réserve pour une autre fois.


Le Troisième concours de cuisine note à note podcasté