samedi 31 décembre 2016

Pour les fêtes, j'aurais dû envoyer cela bien avant :

1. prendre un foie, le passer sous l'eau
2. le mettre dans une terrine avec un grand verre de gewurtztraminer et un grand verre de porto, un peu de sel, du poivre en abondance, couvrir
3. mettre au four à 60 °C pendant une heure
4. conserver l'ensemble (terrine fermée avec le liquide et le foie) pendant 2 semaines au réfrigérateur
5. une ou deux heures avant, récupérer le liquide et le faire prendre en gelée
6. servir le foie avec la gelée. 


Pourquoi cette recette ? Tout est dans la température : à 60 °C, le gras ne sort pas (très peu) du foie, parce que la chair ne se contracte pas, d'une part, et que la dilatation de graisse est réduite, d'autre part. A cette température, et avec cette durée, les micro-organismes sont détruits. 
Le poivre en abondance : on n'oublie pas les conseils de mon ami Emile Jung, à savoir que, dans un plat, il doit y avoir une partie de violence, trois parties de force et neuf parties de douceur. 




Evidemment, il y a aussi toutes mes inventions, bien utiles par ces temps de cuisine, "illustrées par des recettes de Pierre Gagnaire" sur http://www.pierre-gagnaire.com/pierre_gagnaire/pierre_et_herve.

mardi 27 décembre 2016

A propos de ganaches

La tradition pâtissière veut que l'on produise des ganaches en :
 - fondant du chocolat
 - faisant bouillir de la crème
 - versant la crème au centre du chocolat fondu
 - mélangeant les deux masses à l'aide d'une cuiller que l'on passe en tournant autour de la crème.


Il y a maintenant 30 ans, j'ai proposé d'y réfléchir en termes physico-chimiques. Le système final est une émulsion, ce qui doit déterminer la pratique de préparation.

En effet, le chocolat est fait de sucre et de matières  végétales dispersés dans de la matière grasse. Quand on fond du chocolat, on forme une dispersion liquide, avec le sucre et les particules de matière végétale dispersées, cette fois, dans la matière grasse à l'état liquide.
La crème, d'autre part, est une émulsion, avec des gouttelettes de matière grasse dispersées dans de l'eau. Faire bouillir l'ensemble ne change guère le système, au premier ordre : la crème bouillie reste une émulsion.
Quand on mêle le chocolat à la crème, le chocolat est comme l'huile que l'on ajoute à une mayonnaise : on augmente la proportion de matière grasse de l'émulsion, tandis que le sucre se dissout dans l'eau de la crème ; les particules végétales restent dispersées.
Finalement, on aura une émulsion qui refroidira, ce qui signifie que les gouttelettes de matière grasses cristalliseront en partie, restant émulsionnées. Le système sera mou, puisque la phase "continue", celle qui disperse les gouttelettes de matière grasse, sera faite d'un mélange des graisses du chocolat et du beurre : si les graisses du chocolat durcissent en refroidissant, celles du beurre restent partiellement liquides.

 Tout cela étant dit, on comprend que l'on puisse "savoriser" ou "odoriser" les ganaches de deux façons : soit en dissolvant des composés dans l'eau (de la crème), soit en dissolvant des composés dans la matière grasse. Le plus souvent, les composés solubles dans l'eau donnent de la saveur, tandis que les composés solubles dans ce que l'on nomme "l'huile" donnent de l'odeur.
Faut-il l'un, ou faut-il l'autre ? C'est mieux d'avoir les deux ! Par exemple, un caramel sera soluble dans la crème, mais des odeurs délicates iront dans la matière grasse. Bien sûr, si l'on infuse la crème avec des matières qui donnent du goût, les deux dissolutions se font simultanément.

 Enfin, une pratique rénovée sur la base de la compréhension précédente : pourquoi ne pas ajouter le chocolat fondu à de la crème chauffée, en fouettant comme pour une mayonnaise ? On est alors sûr de bien faire l'émulsion de type "huile dans eau".























Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

dimanche 25 décembre 2016

On dit que ... les maquereaux

On dit que les maquereaux "tournent" par temps d'orage.

Oui, on le dit, et, un jour d'été en Bretagne, au large de Fouesnant,  j'ai effectivement observé des maquereaux, que j'avais moi-même péchés en début d'après-midi, qui s'étaient partiellement décomposés, en fin d'après midi, après un orage, alors qu'ils avaient été laissés dans le cockpit. C'était spectaculaire, car la chair était devenue toute molle, presque liquide.

En revanche, le phénomène n'a pas eu lieu pour des maquereaux péchés un autre jour, sans orage. Faisait-il moins chaud ? Moins humide ?

On pourrait essayer de reproduire les conditions et de voir le développement de micro-organismes.

Qui fera les expériences ?












Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

mardi 20 décembre 2016

On dit que le beurre cuit est malsain... mais qui le dit ?

Oui, on dit que le beurre cuit est malsain… mais il  a même été dit qu'il valait mieux manger de l'huile (d'olive) que du beurre. Pour le beurre cuit, évidemment il y a cuit et cuit… mais le beurre noisette, par exemple, est-il malsain ?


Des études effectuées à l'université de Lille ont montré que la consommation de beurre, et celle de beurre cuit,  n'ont pas sur notre organisme les effets néfastes qu'on lui prêtait (voir http://www.cerin.org/publication/chole-doc/beurre-ne-compte-plus-pour-du-beurre.html).
Aujourd'hui, les choses changent : après quelques décennies pendant lesquelles on a crié haro sur le beurre, la crème, le lard, etc., on a vu l'obésité augmenter quand on a cessé de consommer ces produits, augmentant la consommation de sucres. De sorte que l'industrie alimentaire revient à ces produits délicieux que sont le beurre, la crème, le lard… quand ils sont bons (Toni Tarver, A big fat dispute, Food Technology, 08.16, 27-35, www.ift.org).
Car, évidemment, un beurre sans goût est sans intérêt. « Bon », cela ne veut pas nécessairement dire « artisanalement produit », car on voit des artisans empoisonner leurs clients (récemment avec des tapenades) ;  cela signifie « produit à partir de pratiques rationnelles et saines ». En l’occurrence, le beurre est bon quand l'alimentation des vaches est judicieusement choisie.

















Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

jeudi 15 décembre 2016

Jaune d'oeuf protégé ?

On m'interroge :


Le jaune d'oeuf est-il mieux protégé de l'air dans la sauce mayonnaise que dans la coquille de son oeuf ?

Et la réponse est non !

Pour comprendre, je propose donc de comparer le jaune d'oeuf dans l'oeuf, et le jaune d'oeuf dans la mayonnaise.

Dans l'oeuf, le jaune se trouve limité par une membrane, qui le protège ; et l'ensemble est entouré du blanc d'oeuf, lequel contient du lysozyme, une protéine très efficace contre les bactéries... au point que l'on conservait naguère encore les blancs d'oeufs à température ambiante, dans les cuisine. Ce même lysozyme, découvert par Alexander Fleming, se trouve aussi dans les yeux, ce qui nous protège contre les infections.

Puis, autour du blanc, il y a encore une membrane, et la coquille. Finalement, cela fait beaucoup de protections !

Dans la sauce mayonnaise, en revanche, on a des gouttelettes dispersées dans le jaune : le jaune est donc au contact direct de l'air, et il n'est protégé... que par l'acidité du vinaigre que l'on a mêlé au jaune, avant d'ajouter l'huile :


Bref, les bactéries, levures, et autres micro-organismes ont un accès direct au jaune, et c'est plutôt l'huile, qui serait protégée.

De toute façon, la question n'est pas de protéger le jaune de l'air... mais des micro-organismes qui sont dans l'air.





















Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

Peut-on conserver de la mayonnaise ?

Peut-on conserver de la mayonnaise ? J'ai décrit la sauce en détail dans un autre billet, mais on m'a fait le reproche (amical) de ne pas avoir répondu à la question.

Et pour cause : je ne suis pas microbiologiste ! 

En conséquence, comme il y a une responsabilité à proposer de conserver ou non la mayonnaise, j'ai interrogé LE spécialiste de la microbiologie alimentaire, lequel est parfaitement à jour des études scientifiques.
J'en profite pour rappeler que nous ne sommes pas des experts si nous n'avons pas travaillé pour avoir de l'expertise. Et l'expertise, ce n'est pas rien. Par exemple, le praticien qui n'a pas de théorie reste un praticien, mais il n'a pas de vision générale d'un sujet. Personnellement, je n'aimerais pas être pris en faute de naïveté inconsciente, par ignorance, quand la vie d'autrui est en jeu.

Et il faut dire au public (nous) que, contrairement aux attaques hargneuses des roquets (dans la presse, sur des réseaux sociaux), les experts de l'Etat ne sont pas "vendus". Toute personne qui me le soutiendra sera disqualifiée à mes yeux... et j'irai bien vite chercher l'idéologie malhonnête derrière ses propos... à moins que ce soit de l'imbélicité ?

En tout cas, pour la mayonnaise, la réponse m'a été donnée par mon ami (c'est mon ami non pas parce que c'est mon ami, mais plutôt parce que je veux pour ami des gens travailleurs, honnêtes, bienveillants : qui se ressemble s'assemble, non ?). La voici :


Cher Hervé,
Tu as raison, le pH de la mayonnaise commerciale (3,0 à 4,2) prévient la croissance des bactéries pathogènes et permet même de les détruire.
 Le facteur limitant à leur conservation est le développement potentiel d'organismes d'altération acidophiles de type levures ou bactéries lactiques. Ce développement est très lent au froid. Donc une mayonnaise commerciale se conserve très longtemps en réfrigération, j'ai trouvé 2 à 8 semaines pour les salades à base de mayonnaise (qui sont les seuls aliments pour lesquels on trouve de la bibliographie), donc plusieurs semaines sans problème pour la mayonnaise commerciale réfrigérée (voire à température ambiante).
En revanche, il faut recommander de consommer rapidement (2 jours max au froid) une mayonnaise maison insuffisamment acidifiée (je n'évoque même pas une conservation à température ambiante).
Amitiés


Limpide, non ? Si nous voulons conserver un peu des mayonnaises, n'oublions pas ce paramètre important qu'est l'acidité... sans oublier qu'une mayonnaise n'est pas une rémoulade (dans la mayonnaise, jaune d'oeuf, vinaigre, huile ; dans la rémoulade, jaune, moutarde, vinaigre, huile).





Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

dimanche 11 décembre 2016

La mayonnaise ? Mais c'est très simple

Un correspondant me dirige vers un site où je lis :



"La mayo est une émulsion où chaque molécule d'oeuf est enrobée d'huile, donc placée dans des conditions de conservation proches de l'idéal. Demandez à Hervé This, quoi !"

Le correspondant m'a donc interrogé... et j'ai confirmé que oui, la sauce mayonnaise est bien une émulsion, mais NON, chaque molécule d'oeuf n'est pas enrobée d'huile.

Je vais essayer d'être parfaitement clair, et des schémas nous aideront à mieux fixer les idées.


Commençons par les ingrédients 


Pour faire de la mayonnaise, on part de jaune d'oeuf et de vinaigre :






Si nous disposions d'un microscope si fort qu'il nous permettrait de voir jusqu'à l'échelle des molécules, nous verrions :


Bien sûr, il s'agit d'une simplification, mais les idées essentielles sont là :
- le jaune d'oeuf est fait de molécules de diverses sortes (en réalité, le fond orange ne correspond à rien : à part les molécules, il n'y a rien que du vide)
- la moitié des molécules du jaune d'oeuf sont des molécules d'eau
- parmi les autres molécules, il y a des molécule de "graisse" et des molécules de protéines
- les "graisses", ce sont des "triglycérides, ou bien des "phospholipides" ; autrement dit, les molécules de graisse sont soit des molécules de triglycérides, soit des molécules de phospholipides
- les protéines sont de divers types, avec des noms variés, mais je n'entre pas dans le détail
- les molécules sont "organisées en structures, à savoir que les molécules de protéines et les molécules de graisses forment des "granules", visibles au microscope optique, dispersés dans un "plasma", disons de l'eau, pour simplifier.

Pour le vinaigre, c'est bien plus simple, puisqu'il est fait d'environ 90 pour cent d'eau et d'environ 10 pour cent d'acide acétique. Autrement dit, le vinaigre est fait d'une molécule d'acide acétique pour neuf molécules d'eau :


Ici, le fond bleu ne correspond qu'à délimiter le volume du liquide, mais en réalité, il n'y a que des molécules : soit des molécules d'eau, soit des molécules d'acide acétique, représentée ici sous la forme d'ovales orange.
En réalité, les molécules d'acide acétique ne sont pas plus des ovales que les molécules d'eau ne sont de petits U renversés. Ces molécules sont faites d'atome, comme ci-dessous :

Les molécules d'eau sont faites d'un atome d'oxygène (en rouge) et de deux atomes d'hydrogène (en blanc), tandis que les molécules d'acide acétique sont faites (au total) de deux atomes de carbone (en gris), de quatre atomes d'hydrogène et de deux atomes d'oxygène.

J'allais oublier l'huile ! Cette fois, c'est bien plus simple : elle est composée quasi exclusivement de molécules de triglycérides, comme dans :











Nous avons maintenant les ingrédients, passons à la sauce mayonnaise 

Pour faire de la sauce mayonnaise, on ajoute de l'huile à un mélange de vinaigre et de jaune d'oeuf : les gouttes d'huile qui flottent à la surface du mélange sont coupées en deux, et en deux, et encore en deux, et ainsi de suite à chaque passage du fouet, de sorte que l'on obtient finalement une "émulsion", c'est-à-dire une dispersion de gouttelettes d'huile dans de l'eau où sont dissoutes diverses autres molécules : protéines, acide acétique, etc.

Au microscope optique, on voit ceci  :




Mais évidemment, chaque gouttelettes est faite de molécules de triglycérides, et l'eau est faites de molécules d'eau, avec, dedans, quelques molécules de protéines et d'acide acétique. Les protéines se placent à la limite des gouttelettes d'huile :

Ici, on voit sur le haut à gauche une partie d'une gouttelette : ce sont des molécules de triglycérides, avec une "peau" de molécules de protéines. Le reste, c'est une "solution aqueuse" : des molécules d'eau, des molécules d'acide acétique, des molécules de protéines.
Sur cette image, les proportions ne sont pas exactes : dans une mayonnaise terminée, il y a 95 pour cent d'huile, et seulement cinq pour cent de solution aqueuse.

Mais en tout cas, pour revenir à la phrase initiale que mon correspondant m'avait soumise :  oui, la sauce mayonnaise est bien une émulsion, mais NON, chaque molécule d'oeuf n'est pas enrobée d'huile.

Merci de m'indiquer si je n'ai pas été parfaitement clair : je peux essayer d'améliorer.









samedi 10 décembre 2016

On dit que les lentilles cuisent très difficilement dans certaines eaux

On dit que les lentilles cuisent très difficilement dans certaines eaux, et cela est parfaitement vrai : il y a de cela de nombreuses années, je faisais même l'expérience lors de conférences.

Pour une première expérience, je chauffais des lentilles dans de l'eau pure, ou dans de l'eau additionnée d'un sel de calcium. Quand les lentilles dans l'eau pure étaient cuites, on voyait que les lentilles cuites avec du calcium étaient restées très dures.

Puis, dans une second expérience,  je cuisais des lentilles soit avec de l'eau du robinet, soit  avec de l'eau et du vinaigre, soit avec du bicarbonate. Cette fois, j'arrêtais la cuisson quand les lentilles dans l'eau pure étaient cuites. A ce stade, les lentilles dans l'eau vinaigrée étaient dures comme de petits cailloux, tandis que les lentilles cuites avec du bicarbonate étaient complètement défaites (on obtenait une sorte de purée).

Pourquoi ces résultats ? Parce que, tout d'abord, dans les eaux calcaires, le calcium se lie aux molécules de pectine du ciment qui solidarise les cellules, ce qui prévient leur séparation : les légumes peuvent même durcir au lieu de s'attendrir, lors de la cuisson !
Le vinaigre a le même type d'effet, et c'est pour cette raison que l'on ajoute du jus de citron dans les confitures, où l'on veut l'effet inverse, à savoir la fermeté des gels (faits également de pectine). Avec le bicarbonate, on a un double effet, à savoir que le bicarbonate précipite le calcium, qui n'est pas disponible pour affermir les lentilles, et aussi qu'il est l'inverse d'un acide, de sorte qu'il évite l'association des pectines. Il suffit d'une pincée !

samedi 3 décembre 2016

On dit que l'ail bleuit quand il est mis à l'intérieur d'un poulet qui est rôti au four… mais est-ce vrai ?

On dit que l'ail bleuit quand il est mis à l'intérieur d'un poulet qui est rôti au four… mais est-ce vrai ?

Parfois l'ail bleuit. C'est un fait assuré, car j'ai des photos de gousses d'ail qui sont d'un joli bleu-vert. 
Dans quelles circonstances ce bleuissement se produit-il ? Un correspondant m'a signalé que les gousses d'ail bleuissent quand elles sont mises à l'intérieur d'un poulet que l'on rôtit au four. J'ai donc fait l'expérience, sans attendre, et mes gousses d'ail n'ont pas bleui. Ce n'est donc pas le fait de mettre des gousses d'ail dans un poulet que l'on rôtit qui fait bleuir, et il va falloir mieux préciser les conditions du bleuissement.

 Appel à tous !

mardi 29 novembre 2016

Cuire en chapeau d'huile

Depuis que je suis entré en cuisine, je ne cesse de m'étonner de toutes les bonnes odeurs dans la pièce. Un physicochimiste sait qu'il s'agit de molécules odorantes, qui sont évaporées, entraînées par la vapeur d'eau. Qu'importe le mécanisme, pour l'instant : il faut surtout considérer que tous les composés odorants qui ne sont plus dans la casserole… ne sont plus dans la casserole : ils sont perdus, ce qui peut contenter le cuisinier, mais ne fait pas l'affaire de ses convives!
Pourquoi ne pas récupérer ces composés ? Il y a plusieurs décennies, j'avais proposé que nous mettions au point des casseroles équipées de systèmes de recondensation, ce qui permettrait, surtout  pour des cuissons très longues, de récupérer de l'eau et ce que l'on pourrait nommer des « huiles essentielles de cuisine », car le procédé s'apparente à la production d'huiles essentielles, souvent faites par entraînement à la vapeur d'eau.
Les fabricants de casserole n'ont héla pas produit les systèmes dont je rêvais, et dont seuls des chimistes bénéficient aujourd'hui  avec leurs équipements de laboratoire. Et les autres ?

Tout n'est pas perdu quand  on sait, d'une part, que la cuisson à base température donne des résultats souvent bien meilleurs que les cuissons turbulentes dans un bouillon mal conduit, et, d'autre part, que les composés odorants sont souvent solubles dans les matières grasses.
Pour simplifier, on peut effectivement classer les composés en deux sortes : ceux qui sont solubles dans l'eau, et ceux qui sont solubles dans ce que l'on nomme l'huile (la matière grasse à l'état fondu, quelle que soit sa nature). Bien sûr, il y en a d'autres, mais, pour ce qui concerne la cuisine, ils sont sans doute minoritaires. Ajoutons que souvent les composés odorants sont hydrophobes, alors que les composés sapides sont hydrophiles.

Soit donc une casserole où un mets cuit : coq au vin, un ragoût, une daube, un braisé, etc. Comment retenir ou récupérer les composés odorants, sachant que les composés sapides iront se dissoudre dans l’eau ? Le couvercle est d'invention ancienne, et il n'est pas toujours inefficace, au moins quand l'ébullition n'est pas tumultueuse. On avait d'ailleurs inventé des couvercles à rebord, apparentés à ceux des braisières, où l'on pouvait déposer de l'eau froide ou un torchon mouillé, afin de recondenser les vapeurs odorantes.
C'est une première solution, mais il y en a au moins une autre, qui consiste à faire un chapeau d'huile : il s'agit cette fois de faire flotter à la surface du liquide, une couche d'huile où les composés odorants iront se dissoudre. On aurait ainsi des bocaux  d'huiles parfumées : l'huile de cuisson du coq au vin, l'huile  de cuisson de la poule au vin jaune... Et ces huiles pourraient ensuite être introduites dans les mets, notamment par émulsion, en fin de cuisson. De la sorte, rien ne se perd, et tout se crée.
On notera que ce type de cuisson s'apparente à la cuisson en émulsion, comme quand on chauffe une matière dans la crème, composée d'eau et de matière grasse. Cette fois, les composés sapides se dissolvent dans l'eau de la crème tandis que les composés odorants se dissolvent dans la phase grasse.
On objecterait que les matières grasses animales ne sont pas bonnes pour la santé ? Ce serait sans compter cette publication fracassante de la rentrée, produite par l'industrie alimentaire américains, qui reconnaît que l'épidémie d'obésité aux États-Unis est sans doute due à une volonté fautive d'éradiquer les graisses saturées,  ce qui a conduit au remplacement de ces dernières par les sucres. Il faut s'attendre à un retour en… grâce  du beurre, de la crème, du lard, au moins pour ce qui concerne la communication alimentaire, car, du côté des vrais Gourmands, on n'a jamais cessé de se priver des bonnes choses.

dimanche 27 novembre 2016

Faut-il cuire les pâtes dans une grande quantité d'eau ?

Faut-il vraiment beaucoup d'eau, quand on cuit les pâtes ? On le dit... mais on dit aussi qu'il faut mettre de l'huile dans la casserole afin qu'elles ne collent pas... ce qui n'est pas vrai : c'est l'huile ou le beurre que l'on met après la cuisson qui évite aux pâtes de coller, et c'est un gâchis que de mettre de la bonne huile dans la casserole, car cette huile reste en surface et est la première à partir à l'évier, la cuisson étant faite.

Donc, revenons à la question : faut-il beaucoup d'eau pour la cuisson ? Nous avons testé cette question lors d'un de nos "séminaires de gastronomie moléculaire, en comparant les mêmes pâtes, cuites avec beaucoup d'eau ou avec peu d'eau (mêmes casseroles, même feu, même quantité de pâtes).
Dans les conditions de nos expériences, il apparaît que les pâtes avec moins d'eau sont un peu plus molles que celles qui sont cuites dans  beaucoup d'eau.  Un premier dégustateur  reconnaît que les pâtes cuites avec peu d'eau cuisent plus  vite. Un autre dégustateur confirme l'impression. Les deux dégustateurs ne voient pas de différence de salé. Un test triangulaire ne montre pas de différence de couleur. Enfin, le test triangulaire de dégustation confirme une différence, mais ne signale pas de collant supérieur.

samedi 26 novembre 2016

On dit que l'ail bleuit quand il est posé sur des tomates que l'on fait sécher au four.

On dit que l'ail bleuit quand il est posé sur des tomates que l'on fait sécher au four. Qui le testera ?

Les tomates séchées sont délicieuses, très simples à préparer : on plonge des tomates dans de l'eau bouillante pendant une dizaine de secondes, on les pèle, on les coupe en deux, on enlève l'eau de végétation, et on les pose sur une plaque de four avec du thym, du romarin, du sel, du sucre et de l'ail coupé en pétales.
Puis on fait sécher doucement, au four, pendant quelques heures : une température de 95  degrés convient, la porte du four restant ouverte  pour que l'humidité soit éliminées.

Un chef m'a dit que l'ail posé sur les tomates bleuissait, mais je n'ai pas pas observé ce bleuissement.
 Il faut donc conclure que la précision culinaire donnée par le chef est fausse, dans sa généralité, et il faudra cherche les conditions du bleuissement, comme je l'ai dit dans un autre billet, où je faisais état du fait que j'ai déjà vu de l'ail bleuir, effectivement.

jeudi 24 novembre 2016

Ce matin, une question technique, à laquelle je donne essentiellement une réponse de principe !



Ce matin, une question technique, à laquelle je donne essentiellement une réponse de principe ! 
 
Voici la question : 
 
Bonjour Monsieur,
Je suis professeur de sciences appliquées au lycée hôtelier de xxxx et je "sèche" sur la question d'un étudiant. Pourquoi fait-il faire attention à la température du lait incorporé dans le thé bouillant afin d'éviter que celui-ci "caille"?
 
Et voici ma réponse : 
 
 
 
Chère Collègue

Bien impossible que vous soyez professeur de "sciences appliquées"... puisqu'il ne peut y avoir de sciences appliquées. Le grand Pasteur disait déjà très justement qu'il y a la science, et les applications de la science : l'arbre n'est pas le fruit ! 
Et  l'expression "science appliquée" est un oxymore, une faute de langue, donc de pensée, parce que si c'est de la science, ce n'est pas "appliqué", et si c'est appliqué, ce n'est pas de la science.
 
Il vaut donc bien mieux parler de technique (tourner des champignons), de technologie (applications de la science), ou  de science (recherche des mécanismes des phénomènes).
Et, donc, je crois que vous êtes professeur de science, ou de technologie, selon ce que vous enseignez. 
Je vous invite à m'aider dans mon combat, qui est en réalité celui de nombreuses personnes qui ont lu et compris nos grands anciens (Lavoisier, Chevreul, Pasteur, etc.) : cessons de parler de ce qui ne peut pas exister !

 
Pour la question du thé, il y a à considérer que le thé contient des composés phénoliques, dont certains sont des tannins, ce qui signifie qu'il y a une liaison notamment avec des protéines (ce que l'on voit quand on met une gorgée d'un vin "tannique" en bouche, et qu'on crache la salive après avoir "mâché" le vin : on observe un précipité dû à ce type de réactions.

Cela dit, il y a aussi le fait que les protéines sont dénaturées à certaines températures "chaudes".

Mais je ne comprends pas bien votre message, enfin, puisque vous écrivez "Pourquoi les protéines coagulent-elles dans un cas (lait chaud) et non dans l'autre ? La matière grasse joue-t-elle un rôle?". L'autre, c'est quoi ?

mercredi 23 novembre 2016

On dit que la sauce mayonnaise faite à la cuiller en bois est plus ferme qu'à la fourchette ou au fouet.

La mayonnaise serait plus ferme à la cuiller en bois ?

On rappelle d'abord que la mayonnaise se fait à partir de jaune d'oeuf, de vinaigre,  de sel, de poivre et d'huile ; pas de moutarde, sans quoi on ferait une rémoulade (voir notamment http://www.agroparistech.fr/Glossaire-des-termes-culinaires-en-chantier-pour-toujours-merci-de-contribuer.html).

Dans le temps, la mayonnaise se faisait à la cuiller en bois, et le grand Marie-Antoine Carême écrit que c'est le frottement répété de la cuiller en bois contre le bord de la terrine qui donne blancheur et fermeté à la sauce. C'est exact, car plus les gouttes d'huile sont petites, plus la mayonnaise est ferme et blanche. Pour autant, la confection de la sauce mayonnaise à la cuiller en bois prend un quart d'heure et le travail est pénible. Aujourd'hui un mixer fait le même résultat en quelques secondes, et sans effort.

mardi 22 novembre 2016

On dit que les confitures se font mieux dans les bassines en cuivre.


On dit que les confitures se font mieux dans les bassines en cuivre, mais est-ce avéré ? Ce  qui est clair, c'est que l'on voit effectivement des ions cuivre des bassines passer dans les confitures : quand on laisse des fruits telles des framboises, avec du sucre, dans une bassine en cuivre, on voit que le cuivre est complètement décapé jusqu'au niveau du liquide. Il faut ajouter aussitôt que le cuivre n'est pas bon pour la santé (sauf en très petites quantités).
Mais le cuivre fait-il de meilleures confitures ? Il faudrait s'interroger sur ce que signifie « meilleur » : est-ce une question de confitures ayant un meilleur goût ? Une meilleure consistance ?

J'ai en tout cas fait l'expérience de cuire des confitures avec ou sans cuivre (avec : les quantités étaient considérables), et j'ai observé une véritable différence : le confitures cuites avec cuivre sont bien plus fermes que les autres, et l’explication théorique est claire : le cuivre est un ion divalent, ce qui signifie qu'il peut attacher à deux molécules de pectines voisine, ce qui renforce la confiture. Les molécules de pectine ? Comme des fils microscopiques, extraits des fruits, ces molécules font l'architecture de ces « gels » que  sont les confitures  (pensons à une sorte échafaudage où seraient l'eau et les composés qui donnent le goût des confitures).
De la sorte, de la confiture dont les pectines sont réunies, pontées par le cuivre, sont effectivement plus fermes que des confitures sans cuivre. Mais reste la question de la toxicité du cuivre !

dimanche 20 novembre 2016

Pourquoi il faut préparer les sorbets au dernier moment, et les confectionner à température aussi basse que possible ?


Quand on met un jus de fruit dans le bac à glaçons d'un réfrigérateur, sa température est lentement réduite à moins de 0 degrés Celsius, et de gros cristaux de glace se forment. On obtient un granité. Pour avoir une consistance plus souple, plus soyeuse, il faut refroidir le plus rapidement possible. C'est pourquoi j'ai proposé il y à très longtemps que l'on utilise de l'azote liquide, dont la température est de – 196 degrés. Cette fois, les cristaux de glace sont très petits, pour des raisons qui s'apparentent à celles que j'ai esquissées dans un billet relatif à la cristallisation du sel, quand on fait bouillir de l'eau  salée.
Cela  étant, obtenir des cristaux très petits n'est pas suffisant, car il existe un phénomène nommé « maturation d'Ostwald », qui conduit hélas à la disparition des petits cristaux et à la formation de gros cristaux. En effet, dans un sorbet, quand de petits cristaux et de gros cristaux coexistent, les molécules d'eau qui sont agrégées en cristaux ne cessent de s'échanger avec le liquide environnant, et elles vont plutôt se placer sur les gros cristaux, de sorte que ces derniers grossissent, de sorte que les petits cristaux disparaissent.
Comment l'éviter ? Une solution consiste à maintenir le sorbet bien au dessous de 0 degrés, mais ce n'est pas suffisant. Une autre solution consiste à ajouter dans le liquide des molécules qui augmenteront la viscosité de l'eau restée liquide, et c'est pour cette raison que l'industrie alimentaire recourt à des « polysaccharides », c'est-à-dire des cousins moléculaires des composés que l'on trouve dans la farine.

On le voit : l'industrie alimentaire doit être particulièrement ingénieuse pour satisfaire des citoyens exigeants, qui veulent trouver à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit des sorbets parfait, en bas de chez eux. On ne peut faire autrement que d'amender les formules sous peine d'obtenir des consistances amoindries par cette maturation d'Ostwald. Je ne dis pas que le citoyen a toujours tort et l'industrie raison ;  je dis seulement  que nous, consommateurs, devons savoir ce que nous demandons et quelles sont les conséquences de nos demandes.
En outre, je rappelle que personne n'est obligé d’acheter les sorbets de l'industrie alimentaire, car nous pouvons facilement produire nous-mêmes sorbets et glaces. Mais à nous alors de faire l'effort d'obtenir des préparations qui soient à la hauteur… et il n'est pas certain que nous y parvenions, car les ingénieurs de l'industrie alimentaire ont des connaissances que beaucoup d'entre nous n'ont pas. Au fond, ce billet me conduit à la morale suivante : cessons de critiquer sans cesse l’industrie alimentaire, car, en réalité, personne ne nous oblige à acheter ses produits. A nos casseroles !

La gastronomie moléculaire est une discipline scientifique, mais qu'est-ce que la science ?

L'enseignement doit s'inspirer de la mythologie alsacienne, qui reconnaît que les héros conduits par Odin doivent sans cesse lutter contre les géants, sous peine d'une dévastation du monde nommée Ragnarok : chaque groupe d'âge est ignorant de ce que les précédents ont appris, de sorte que nous devons les aider à obtenir cette connaissance.
D'où l'idée commune, en pédagogie, selon laquelle la répétition est la base de l'enseignement ?

Pour le mot "science", nous sommes bien d'accord que le mot désignait naguère simplement un savoir (on parlait de la science du cordonnier), et, aujourd'hui, dans l’enseignement supérieur, on confond par ce mot les sciences de la nature, et les sciences de l'humain et de la société. Ici, ce sont les sciences de la nature que j'évoque. Elles sont dites parfois "expérimentales", mais c'est trop réducteur, parce qu'il peut y avoir des théoriciens. Parlons de sciences de la nature.

Que sont ces sciences ? Des activités de culture, et, plus précisément, de recherche de connaissances.
Mais, plus précisément, je propose de caractériser les activités humaines par
- un objectif
- le ou les chemins (methodon, en grec : méthode) qui y mènent (le choix du chemin, c'est la stratégie).
En l'occurrence, l'objectif des sciences de la nature, c'est la recherche des mécanismes des phénomènes. Et le chemin me semble être le suivant :
- identification d'un phénomène (parmi l'immensité de tous les phénomènes qui se présentent à nous à chaque instant)
 - caractérisation quantitative  du phénomène (si possible sur des variables pertinentes)
- recherche de "lois" synthétiques, qui regroupent les données numériques obtenues lors des caractérisations
- recherche de mécanismes par "induction", à partir des lois synthétiques précédentes ; cela constitue une "théorie" (on lira  avec intérêt les textes de Henri Poincaré à ce sujet)
 - recherche de conséquences de la théorie obtenue, en vue de faire un test expérimental de ces conséquences (c'est en vertu de tels tests que les théories scientifiques sont dites "réfutables", et que les théories non réfutables ne méritent sans doute pas d'être nommées "scientifiques")
- tests expérimentaux des conséquences- et ainsi de suite, en repartant sur les caractérisations quantitatives.

 C'est clair et simple, non ? Alors pourquoi cela ne m'a-t-il pas été enseigné, quand j'étais étudiant en sciences ? Et pourquoi continue-t-on de parler  de "carrières scientifiques" pour désigner les métiers de l'ingénieur, qui n'ont de rapport ni avec l'objectif précédent, ni avec la méthode décrite ? Il faut changer rapidement !

samedi 19 novembre 2016

Mes cours en ligne ?

 Il y a beaucoup de choses

- pour le master international FIPDES : https://tice.agroparistech.fr/coursenligne/main/document/document.php?cidReq=FIPDESMOLECULARGASTR
 
- pour le master IPP : https://tice.agroparistech.fr/coursenligne/main/document/document.php?cidReq=PHYSICOCHIMIEPOURLAF

- et plein d'autres sur https://tice.agroparistech.fr/coursenligne/courses/GM/?id_session=0

"On dit que les navets glacés à blanc sont gorgés de beurre"


Les navets à l'anglaise sont de piètre pièces, dans l'assiette, car, cuisant dans l'eau bouillante, le nave perd dans l'eau ses sucres et ses acides aminés, notamment. Le bouillon se constitue, mais ce qui est donné à l'eau est perdu pour le navet ! Celui-ci se gorge d'eau, salée,  si l'eau a été salée, mais il n'en demeure pas moins qu'il se "dilue".
Médiocre cuisine, punition de gourmands.

Au contraire, le navet glacé -à blanc ou à brun- se dote d'un goût supérieur, son goût s'embellit.
Les navets glacés ? On met les navets dans une petite casserole, avec de l'eau, du beurre et du sucre. Puis on chauffe.
Lors de la cuisson, les phénomènes sont nombreux, mais le premier est la fusion du beurre, la dissolution du sucre, dans l'eau extérieure aux navets. Puis il y a  l'attendrissement du navet, quand les pectines de ses parois végétales se dégradent : le navet, comme les autres végétaux, est fait de petits "sacs" vivants, les "cellules", qui sont jointoyés par des "parois", faites de "piliers" de celluloses, avec des "cables" de pectines qui les relie. Quand on chauffe, les molécules de pectine perdent des fragments, de sorte que le "ciment intercellulaire" se fissure, ce qui amollit le tissu végétal.
Puis, pour un glaçage à  blanc, l'eau étant évaporée, les navets sont enrobés d'un mélange de sucre et de matière grasse, sans doute émulsionnée dans le sirop. Le sirop entre-t-il dans le légume ? Je l'ignore, mais c'est possible. La matière grasse ? Nos expériences montrent que non, ou alors seulement en surface.
Si l'on pousse la cuisson, afin d'aller jusqu'au glaçage à brun, c'est un caramel qui vient napper les navets.

A ces observations, il faut en ajouter une, que j'ai découverte récemment : quand l'eau extérieure aux navets est entièrement évaporée, c'est l'eau du navet qui disparaît. Jusqu'à 40 pour cent de la masse qui part, ainsi, ce qui contribue à la fois à changer davantage la consistance des navets, mais qui concentre aussi son goût.

mercredi 16 novembre 2016

On dit que le jus d'un citron affermit la confiture

Quand on fait une confiture, on met des fruits avec du sucre et un peu d'eau  et l'on cuit. La cuisson extrait des fruits les molécules de pectines, qui sont comme de microscopiques spaghettis dispersés dans la préparation. Puis, lors du refroidissement, les molécules de pectines s'attachent par les bouts, formant un échafaudage où le reste de la préparation est emprisonné. On dit que, alors, il est bon d'ajouter le jus d'un citron, pour affermir la confiture.
Le jus de citron ? Les physico-chimistes savent pourquoi il favorise la réunion des molécules de pectine, et l'on mesure effectivement que les confitures additionnées d'un acide sont plus fermes que les mêmes confitures qui n'ont pas été acidifiées. Le jus de citron, composé principalement d'eau, d'acide citrique et d'acide ascorbique (vitamine C), a bien l'effet qu'on avait énoncé, et il a de surcroît l’intérêt de donner une petite acidité qui évite à la confiture de se vautrer dans le sucré.
(mais on n'oubliera pas que cela n'est vrai que pour certaines confitures, car pour certains fruits, il y a tant d'acidité que cela ne sert à rien d'en ajouter)

dimanche 13 novembre 2016

On dit que l'on ne doit pas cuire les fruits rouges dans des casseroles étamées.

Jadis, on cuisait dans des pots en terre, et ces derniers cassaient fréquemment, ce qui explique que l'on retrouve des monceaux de tessons sur les sites des anciennes cuisines. Puis il y eut les chaudrons en fer, mais ce dernier rouillait, donnant un goût désagréable. Apparut ensuite le cuivre, mais il était coûteux, et le vert-de-gris dont il est parfois recouvert est vénéneux. Sauf pour les bassines à sucre des sirops et caramels,  ou les bassines à reverdir pour la cuisson des légumes verts, le cuivre ne fut plus utilisé à moins d'être recouvert d'une couche d'étain : il y a un siècle environ, on allait fréquemment faire étamer les casseroles afin d'éviter le vert-de-gris vénéneux.
L'étain nuit-il aux fruits rouges, pour en arriver à la question posée en titre de ce billet  ? Si l'on met des fruits rouges dans de l'étain très propre, métal brillant, alors rien ne se passe, mais si l'on met des sels d'étain  sur des fruits rouges, alors on les voit prendre une couleur violette. On comprend assez bien les raisons de ce changement de couleur, mais il indique surtout que l'étain était oxydé, et il n'est pas certain que l'étain oxydé soit très bon pour la santé. On évitera donc le fer qui rouille, le cuivre qui se vert-de-grise, et l'on n'hésitera pas une seconde à utiliser de l'acier inoxydable qui, comme son nom l'indique, et inoxydable.
Finies les oxydations dangereuses, finis les changements de couleurs malencontreux ou intempestifs, finis les mauvais goût. Vive la technologie bien pensée !

samedi 12 novembre 2016

Cristallisation du sel dans une casserole

Quand on chauffe de l'eau salée, très rapidement, l'eau s'évapore et l'on voit apparaître au fond de la casserole une multitude de très petits cristaux. En revanche, quand on chauffe l'eau salée très doucement, alors de gros cristaux se forment. Pourquoi ?

On voudrait une explication simple, rapide… mais ce n'est pas possible, car le monde est ainsi fait que les choses sont parfois compliquées. En l’occurrence, une question aussi simple appelle  de très nombreuses réponses.

La première, simpliste, consiste à dire que les atomes de chlore et de sodium (on devrait dire « les ions », mais je ne veux pas compliquer) qui constituent le sel de table n'ont pas le temps d'aller s'agréger au premier germe cristallin formé, de sorte qu'ils cristallisent sur place. C'est simpliste, car les vitesses des molécules d'eau et des ions sont considérables, à la température de l'eau bouillante, et l'on doit plutôt imaginer l'eau salée comme un fourmillement plutôt qu'un lent ballet. Plus exactement, la vitesse moyenne d’agitation est d'environ 500 mètres par seconde (pensons environ 2000 kilomètres par heure), de sorte que l'on voit que les espèces atomiques ou moléculaires ont largement le temps de traverser la casserole. En revanche, elles n'ont pas la possibilité de se déplacer en ligne droite, puisque l'ensemble est très encombré, de sorte que l'explication donnée n'est pas suffisante.
De toute façon, il y a aussi ce fait que les cristaux croissent à des vitesses différentes, de sorte qu'il y en a de petits et de gros. Les atomes de chlore et de sodium  sont partagés entre la solution et les cristaux, et une plus grande surface d'un gros cristal correspond évidemment  à une possibilité d'agrégation supérieure, ce qui conduit à une croissance préférentielle des gros cristaux.

Mais, là encore, cette seule explication est insuffisante, et il faut considérer bien d'autres phénomènes. J'utilise surtout cette discussion pour interroger l'enseignement de la physico-chimie : devons-nous chercher des systèmes très exotiques pour nos cours, ou devons nous nous contenter de systèmes très simples, à partir desquels nous pouvons montrer que beaucoup de connaissance est nécessaire pour comprendre les phénomènes.

jeudi 3 novembre 2016

Ce matin, une question d'une correspondante :

D'où vous est venu l'idée de la cuisine moléculaire?  

 Pour répondre, je fais l'hypothèse que ma correspondante connaît la différence entre la cuisine moléculaire et la gastronomie moléculaire (si elle ne la connaît pas, voir de nombreux billets et sites ; mais pour faire simple, tout se fonde sur le fait que la "cuisine" produit des mets, et la "gastronomie" n'est pas de la haute cuisine, mais, en bon français, de la connaissance, la gastronomie moléculaire étant une branche de la physico-chimie).

Bref, la cuisine moléculaire, c'est de la cuisine, et, plus spécifiquement, c'est une cuisine techniquement rénovée : au lieu d'utiliser de centenaires ou millénaires casseroles, fouets, etc., on utilise des équipements modernes : azote liquide, siphons, pompes, thermocirculateurs...

Et l'idée m'en est venue, parce que, en 1980, j'avais mon laboratoire dans ma cuisine... puisque je n'avais qu'un studio. J'utilisais les équipements de laboratoire, et je comprenais qu'ils étaient plus adaptés que les systèmes de cuisine... d'où l'idée de transférer les équipements de laboratoire en cuisine.
C'est cela la cuisine moléculaire... qui est devenue un style. 















Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)  

mardi 1 novembre 2016

On dit que les haricots verts brunissent quand ils sont cuits dans un liquide acide.

Oui, les acides nuisent à la fraîche couleur des végétaux verts, parce que l'atome de magnésium qui se trouve au centre des molécules de chlorophylle (il y en a quatre sorte, plus leurs dérivés) est délogé par les atomes d’hydrogène apportés par les acides : les molécules absorbent alors différemment la lumière.

Le bicarbonate de sodium, ou d'autres composés basiques  (basique, c'est en quelque sorte le contraire d'acide ; rien  à voir avec l'amertume, par exemple), préservent la couleur en ralentissant le départ de l'atome de magnésium, par neutralisation de l'acidité.

C'est sans doute pour cette raison que l'on utilisait naguère de la lessive de cendres pour la cuisson des légumes verts : les cendres de bois, mises dans un linge et aspergées d'eau faisaient une solution contenant de la potasse, qui est une base puissante. Cuits dans cette lessive de cendres, les végétaux verts restaient bien verts… mais je ne suis pas certain d'aimer beaucoup les saveurs basiques ;-)







Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)  








lundi 31 octobre 2016

Comment retarder la fonte d'un sorbet, d'une glace ?

La fonte dépend de la conduction thermique et de la capacité calorifique. Mais sans changer la formule, vous ne pourrez toucher ni à l'un ni à l'autre.

En revanche, une structure foisonnée en enrobage permet de faire un isolant, comme du double vitrage à la puissance mille. Par exemple, si vous mettez un thermomètre sous un tas de blanc d'oeuf battu en neige et que vous chauffez la surface de celui-ci avec un chalumeau à 1000°C, vous observerez que la température n'augmente quasiment pas à coeur de la mousse.

dimanche 23 octobre 2016

Les progrès de la publication scientifique (en anglais)

Bonjour, 
 
Je heureux de vous signaler  la parution d'une nouvelle Note dans les Notes Académiques de l'Académie d'agriculture de France (N3AF).

N3AF-2016 (8) : Methodological advances in scientific publication by Hervé This

Elle est en ligne sur le site de l'académie (http://www.academie-agriculture.fr/publications/n3af)
 
 
Vive la connaissance produite et partagée ! 

vendredi 14 octobre 2016

On dit que la viande se contracte au réfrigérateur. Qui le testera ?

L’analyse des précisions culinaires montre que, souvent, on projette des idées. Ainsi, pour tous les matériaux, il y a une légère contraction avec le froid, et, inversement, une dilatation avec le chaud. C'est pour cette raison que les cheminots laissent un espace entre les rails, afin que, en été, ils aient la possibilité de se dilater sans faire dérailler les trains.
La viande étant majoritairement constitue d'eau, elle subit une dilatation au froid et une contraction au chaud : la contraction atteint 0,5 pour cent, quand on passe de la température ambiante (20 degrés) à la température recommandée pour les réfrigérateurs (4 degrés). Par exemple, un rôti de un kilogramme serait réduit de 5 centilitres environ.
L'expérience qui consiste à mettre de l'eau dans une fiole au col étroit montre que quelques degrés seulement suffisent à faire varier notablement le niveau, de plusieurs centimètres. De sorte  que la précision culinaire donnée ici est juste.
Mais la question est surtout de savoir de combien cet effet est important, et en quoi il influe sur la préparation des aliments. De combien il est important numériquement : c'est dit plus haut. De combien cela est important pour la préparation des aliments : je ne sais pas.

dimanche 9 octobre 2016

On dit que les carottes coupées en biseau n'ont pas le même goût que quand elles sont coupées en rondelles bien cylindriques.

On dit que les carottes coupées en biseau n'ont pas le même goût que quand elles sont coupées en rondelles bien cylindriques.

Cela est certain, car le « goût » est une sensation synthétique qui inclut la saveur, la couleur, l'odeur, la consistance, la température... En bouche, donc, on reconnaîtra certainement des carottes coupées en biseau et des carottes coupées perpendiculairement à l'axe.

Je sais que cette analyse est une finasserie, et que cela n'est pas ce que mes amis auraient voulu que je dise : ils auraient voulu que je discute la question du goût, au sens de la saveur et de l'odeur.
J'interprète donc maintenant en disant que couper un tissu végétal, c'est rompre des cellules et libérer leur contenu. De sorte que couper en biseau a sans doute un effet, à savoir d'augmenter le nombre de cellules coupées. Or  comme couper un tissu végétal déclenche des réaction enzymatiques qui ne sont pas favorables au goût, on aurait plutôt intérêt à couper perpendiculairement à l'axe.

Mais en matière de goût, il n'y a pas de bon ou de mauvais ; il y a seulement du « j'aime » ou du « je n'aime pas ».

dimanche 2 octobre 2016

Amertume et acidité

Un prétendu guérisseur déclare à une assistance :

« Mangez des citrons, car ils sont amers et donc basiques. Et surtout pas d’oranges car elles sont acides ». C'est honteux !
Le même escroc dit "Les protons entrent dans les atomes, font gonfler les molécules et après ça bloque les organes".

C'est honteux, à nouveau.



Dans les deux cas, les phrases disent des choses fausses. D'une part, les citrons ne sont pas basiques, mais acides. Les oranges sont acides, mais pas plus que les citrons. Les protons ne peuvent pas "entrer dans les atomes", car ils y sont déjà, et, pour faire entrer un proton dans un atome, il faut une énergie considérable. Avec des aliments, impossible ! Et, donc, impossible de faire gonfler les molécules en y injectant des protons. Enfin, une molécule "gonflée" ne peut pas bloquer un organe. Bref, c'est du baratin habillé de mot scientifique que l'escroc soit ne comprend pas, soit comprend et utilise malhonnêtement.

Tout cela étant dit, il faut maintenant expliquer des choses justes.

Commençons par l'acidité. Au début, c'est une sensation : quand on boit une (petite) gorgée de vinaigre, quand on goûte du jus de citron, ou d'orange, du raisin vert, etc., on perçoit une sensation acide, un peu piquante, mais bien différente du piquant du poivre ou du piment.
Progressivement les chimistes ont compris que certains corps sont acides quand ils peuvent libérer dans de l'eau des atomes d'hydrogène ayant perdu un électron, un proton, donc... mais un proton qui n'est pas isolé : il est entouré d'un nombre notable de molécules d'eau. Inversement, un corps est basique quand il peut capter un tel proton hydraté.
Un exemple : quand on brûle du dichlore gazeux (un gaz verdâtre) et du dihydrogène (que l'on peut produire en faisant l'électrolyse de l'eau), on obtient un gaz nommé chlorure d'hydrogène, avec des molécules faites d'un atome d'hydrogène lié à un atome de chlore. Si l'on met ce gaz au contact de l'eau, il se dissout, et les molécules de chlorure d'hydrogène se dissocient, en atomes d'hydrogène qui s'hydratent et en atomes de chlore qui s'hydratent. On obtient une solution d'acide chlorhydrique.


Une telle solution est acide : quand on la goûte (attention : il faut qu'elle soit diluée), on perçoit une sensation acide.
Les chimistes ont appris à ne plus goûter les solutions acides pour savoir de combien elles sont acides, et ils ont établi une échelle d'acidité, nommée pH. Pour faire simple, on mesure l'acidité entre 0 et 7. Le pH égal à 0 correspond à des solutions très acides. Le pH égal à 7 correspond à l'absence d'acidité, la "neutralité"  : l'eau pure.
Pour des pH supérieurs à 7, entre 7 et 14, les solutions sont "basiques" : c'est le cas des solutions de bicarbonate de sodium, de soude, de potasse. La sensation de ces solutions est très particulier, et j'invite tous mes amis à goûter une fois une pincée de bicarbonate de sodium : c'est sans danger, et l'on perçoit bien ce qu'est une basicité.

On observera que la mesure de l'acidité, et la perception en bouche de l'acidité ne correspondent pas, comme le montre l'expérience suivante : si l'on goûte du vinaigre, c'est une perception très acide. Si l'on mesure cette acidité, on trouve une valeur de 2 environ. Puis, si l'on ajoute une grande quantité de sucre à ce vinaigre, on obtient une solution assez agréable, dont l'acidité est très faible... mais si l'on mesure l'acidité, on voit qu'elle n'a pas changé.
C'est pour cette raison que l'on perçoit difficilement la vraie acidité (mesurée) des fruits : par exemple, des framboises peuvent avoir un pH égal à celui du vinaigre, sans paraître acides, parce qu'elles contiennent du sucre.
Le citron ? Très acide. L'orange ? Aussi acide que le citron, mais elle apparaît moins acide, parce qu'elle contient du sucre.

Et l'amertume, dans cette affaire ? Rien à voir ! L'amertume est une sensation que l'on a avec certains composés comme la quinine des Schweppes, ou l'alpha-humulone  de la bière, par exemple.











Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)  

samedi 1 octobre 2016

On dit que les blancs d’œufs montent mieux en neige quand on les bat toujours dans le même sens.

Quand on bat des blancs en neige, on introduit des bulles d'air dans le liquide visqueux qu'est le blanc d’œuf. Au  début, les bulles sont grosses, mais progressivement leur taille diminue, et l'on obtient une mousse assez ferme et stable.
 Tourner le fouet dans un sens ou dans l'autre sens a-t-il une influence sur la vitesse des blancs en neige ? La fermeté ? La stabilité ?

L'expérience faite n'a montré aucune différence, d'autant que les incertitudes de mesure sont considérables, pour la détermination du volume d'une mousse. Donc non, pas de différence observable.

En revanche, lors d'un séminaire de gastronomie moléculaire, nous avons comparé des blancs monté à la main dans un cul de poule, et des blancs montés avec des batteurs électriques. Il y avait plus de volume à la main que dans le batteur, de sorte que l'on peut imaginer  que la façon de fouetter change le volume et la fermeté. Pour autant, si l'on fouettait  de la même façon dans un sens ou dans l'autre, cette possibilité d'effet disparaîtrait.

On dit que les blancs d’œufs montent mieux en neige quand on les bat toujours dans le même sens.

Quand on bat des blancs en neige, on introduit des bulles d'air dans le liquide visqueux qu'est le blanc d’œuf. Au  début, les bulles sont grosses, mais progressivement leur taille diminue, et l'on obtient une mousse assez ferme et stable.
 Tourner le fouet dans un sens ou dans l'autre sens a-t-il une influence sur la vitesse des blancs en neige ? La fermeté ? La stabilité ?

L'expérience faite n'a montré aucune différence, d'autant que les incertitudes de mesure sont considérables, pour la détermination du volume d'une mousse. Donc non, pas de différence observable.

En revanche, lors d'un séminaire de gastronomie moléculaire, nous avons comparé des blancs monté à la main dans un cul de poule, et des blancs montés avec des batteurs électriques. Il y avait plus de volume à la main que dans le batteur, de sorte que l'on peut imaginer  que la façon de fouetter change le volume et la fermeté. Pour autant, si l'on fouettait  de la même façon dans un sens ou dans l'autre, cette possibilité d'effet disparaîtrait.







Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)  

vendredi 30 septembre 2016

On dit que le beurre cuit est malsain.


Oui, on dit que le beurre cuit est malsain… mais il a même été dit qu'il valait mieux manger de l'huile (d'olive) que du beurre. Pour le beurre cuit, évidemment il y a cuit et cuit… mais le beurre noisette, par exemple, est-il malsain ?
Des études effectuées à l'université de Lille ont montré que la consommation de beurre, et celle de beurre cuit, n'ont pas sur notre organisme les effets néfastes qu'on lui prêtait (voir http://www.cerin.org/publication/chole-doc/beurre-ne-compte-plus-pour-du-beurre.html). Je me demande si cette idée du beurre malsain n'est pas plutôt de la désinformation due aux fabricants d'huile, et notamment aux fabricants d'huile d'olive.
Aujourd'hui, les choses changent : après quelques décennies pendant lesquelles on a crié haro sur le beurre, la crème, le lard, etc., on a vu l'obésité augmenter quand on a cessé de consommer ces produits, augmentant la consommation de sucres. Aujourd'hui l'industrie alimentaire revient à ces produits délicieux que sont le beurre, la crème, le lard… quand ils sont bons (Toni Tarver, A big fat dispute, Food Technology, 08.16, 27-35, www.ift.org).
Car, évidemment, un beurre sans goût est sans intérêt. « Bon », cela ne veut pas nécessairement dire « artisanalement produit », car on voit des artisans empoisonner leurs clients (récemment avec des tapenades) ; cela signifie « produit à partir de pratiques rationnelles et saines ». En l’occurrence, le beurre est bon quand l'alimentation des vaches est judicieusement choisie.

vendredi 16 septembre 2016

Ingrédients ou produits ?

Je m'aperçois que j'ai souvent été fautif d'utiliser le mot « produit ». Le produit, c'est le résultat d'une production, de sorte que les produits de la cuisine sont les mets, et non pas les  beurre, crème,  huile, fruits, légumes, viandes, etc, qui proviennent des agriculteurs, éleveurs, industrie alimentaire… Oui, il ne faut pas tout  confondre : pour la cuisine, ces produits ne sont que des ingrédients, des éléments à la base des recettes, et le produits des cuisiniers sont en réalité les plats qu'ils confectionnent. Ayant discuté  de cuisine, les seuls produits auxquels j'aurais dû m'intéresser sont les ingrédients, et je n'aurais donc pas dû parler de produit. Je ne dis pas que la production de l'agriculture ou de l'élévage soient rien, car on sait combien une belle crème est extraordinaire, mais entre les mains des cuisiniers, ces produits doivent être transformés en produits culinaires :  les cuisiniers ne sont pas des épiciers, qui auraient pour mission de dénicher des produits et les mettre seulement dans une assiette, pas plus que les peintres ne sont des marchands de couleur. Dans les deux cas, il y a le travail de l'artisan ou de l'artiste, qui transforme les ingrédients en produits.

Je me propose de me réformer et d’utiliser le mot « produit » avec bien plus d'attention.

Crêpe et pain

Aujourd'hui, le billet est un podcast audio, que l'on trouvera à l'adresse billet http://www.agroparistech.fr/podcast/Pains-et-crepes.html. 

Vive la Connaissance produite et partagée

mercredi 14 septembre 2016

La formation des caramels

Ayant observé que je discutais plus les transformations physiques que les transformations chimiques des aliments, j'en viens naturellement à discuter maintenant une recette où la physique a peu de place et où la chimie est reine : la formation des caramels.
Bien sûr, quand on fait un caramel, que l'on place du sucre dans de l'eau et que l'on chauffe, il y a d'abord la disparition des cristaux et la formation d'un sirop. En effet, le sucre est "hygroscopique", ce qui signifie qu'il capte l'eau de son entourage... de sorte que, quand on chauffe ensuite du sucre, celle-ci est ensuite disponible pour que les molécules de sucre se dissolvent. Bref, pas nécessairement besoin d'ajouter de l'eau  à du sucre pour obtenir du caramel, par temps humide.

Ici, il faut que je fasse une petite rectification, à propos de « sucre », car le sucre de table n'est pas le seul sucre, de sorte qu'il est parfaitement illégitime de dire que c'est "le sucre" : c'est un sucre, et un sucre particulier que la chimie nomme le saccharose.
La famille des sucres est immense, mais, plus ou moins, ce sont tous des composés dont les molécules sont constituées d'un squelette fait d'atomes de carbone enchaînés linéairement, ces derniers étant liés à des atomes d'hydrogène, et, surtout, à des groupes de deux atomes : un atome d’oxygène liné  à un atome d’hydrogène. De tels groupes sont nommés « hydroxyles », et c'est la raison pour laquelle il est juste de dire qu les sucres sont des composés organiques "polyhydroxylés" (désolé pour la longueur du mot, mais au moins ce dernier est explicite : poly = plusieurs, hydroxylé = groupes hydroxyle).
Les chimistes, depuis un siècle ou deux, ont découvert de nombreux sucres : le glucose, le fructose, le saccharose (nommé sucrose en anglais), le lactose, l'érythrose…. A cette énumération, on pourrait penser que tous les sucres sont des « oses », mais, en réalité, la famille est plus variée, avec des composés tels l'acide galacturonique, l'acide glucuronique, etc. Je n'entre pas dans les détails chimiques, mais le redis : la famille des sucres est immense.

Revenons donc au début de la transformation qui aboutit au caramel, à savoir la dissolution du saccharose dans l'eau présente initialement. Il faut considérer que nous partons de cristaux de sucre, chaque cristal étant un empilement régulier, comme les cubes d'un enfant, bien disposés en pile, de molécules de saccharose. Ces molécules s'empilent parce que les groupes hydroxyles dont nous avons parlés s'attirent, par le même type de forces qui assurent la cohésion des molécules d'eau dans l'eau. Et cette comparaison n'est pas anodine, car ces mêmes forces permettent de maintenir les molécules de saccharose entre les molécules d'eau dans les sirops.
Quand on continue de chauffer, on voit bien sûr que de l'eau s'évaporer, puisque apparaît une fumée blanche au-dessus de la casserole : ce sont des molécules d'eau qui, accélérées par le chauffage, ont réussi à s'échapper du sirop, leur énergie de mouvement étant supérieure à l'énergie des forces qui les retenaient dans le sirop. Les molécules de saccharose, elles, ne s'évaporent pas, car elles sont beaucoup plus grosses, de sorte qu'il leur faudrait bien plus d'énergie.
Il y a donc les molécules d'eau qui s'échappent, mais, quand elles arrivent dans l'air plus froid, au dessus de la casserole, elles ne peuvent rester en phase gazeuses, de sorte qu'elles se ré-associent en petites gouttes d'eau liquide, et la fumée est, comme les nuages dans le ciel, faite d'une multitude de très petites gouttes d'eau  liquide.
Ce que l'on sait moins, c'est que, simultanément, même quand on ne voit pas de changement notable dans le sirop, des transformations ont lieu, au nombre desquelles figurent ce que l'on nomme l'hydrolyse, à savoir que les molécules de saccharose se scindent en deux parties, qui sont une molécule de glucose et une molécule de fructose. Oui, les atomes du saccharose se répartissent en deux groupes, qui sont précisément ces deux sortes de molécules.
Cette transformation n'est pas la seule, comme le montrent des mesures de la couleur du sirop. Les atomes des molécules de saccharose auxquels de l'énergie est donnée par le chauffage, peuvent former bien d'autres assemblages, des molécules de bien d'autres sortes, et, à ce stade, le sirop n'est déjà plus un simple sirop de molécules de saccharoses dissoutes dans l'eau.
Quand le chauffage se poursuit, davantage d'eau s'évapore, de sorte que la température du sirop peut devenir supérieures aux 100 °C de l'ébullition de l'eau pure : 110, 120, 130…  A ces températures, les mouvements d'atomes et de molécules deviennent très vigoureux, et les molécules de saccharose se disloquent de très nombreuses façons différentes. Notamment, un chimiste français a réussi à identifier que se libéraient, dans le sirop chauffé, des molécules instables, qui tiennent du glucose et du fructose, mais qui sont très réactives, et qui s'assemblent pour former notamment des molécules abondantes que sont des "dianhydrides  de fructose". Ces derniers peuvent ensuite s'associer à des molécules de glucose qui étaient dans le sirop pour former de longues chaînes, qui, au refroidissement, feront la masse du caramel.
Si cette réaction-là est essentielle, pour la formation du caramel, elle n'est pas la seule : les possibilités de dislocation de molécules sont nombreuses. Notamment se forment de petits composés et, en particulier, le 5-hydroxyméthylfurfural (pardon pour le nom à rallonge, à nouveau), qui contribue au goût de caramel. On trouve ce composé dans de nombreuses cuissons, à commencer, par exemple, par la cuisson de carottes : le goût de carottes cuites, et le goût de cuit en général, est souvent dû à ce composé dont les chimistes ne disent pas le nom en entier mais l'abrègent en HMF. Je répète que la formation du HMF ou des dianhydrides de fructose n'est pas, loin s'en faut, les seules transformations moléculaires, les seules réactions chimiques. Il y a en d’innombrables qui ont lieu lors de la formation d'un caramel, et l'on comprend que parler de « caramélisation » est seulement une façon de décrire rapidement un ensemble foisonnant de réactions simultanées ou successives. Chaque réaction particulière a un nom, mais on voit aussi que ces réactions ne sont pas isolées, lors de la caramélisation.
Lors du refroidissement, on récupère une masse brune, avec beaucoup de goût. Il y a de l'odeur, de la saveur, parfois de l'âcreté. C'est cela, un caramel. Bien sûr, ces réactions diffèrent de celles qui assurent le brunissement d'une viande que l'on fait rôtir, ce qui explique pourquoi il est erroné ou fautif de parler de caramélisation d’une viande, sauf quand on ajoute du sucre dans la casserole, et que la viande se couvre de caramel, comme dans certaines recettes asiatiques, avec du porc par exemple.

Toujours lors du refroidissement, on peut très bien a jouter de l'eau au caramel, de sorte que les divers composés formés se dissolvent dans cette eau et font un caramel liquide. D’ailleurs, tant que nous y sommes à évoquer des  variations sur le thème du caramel, il faut signaler que l'ajout de composés spécifiques au sirop permet de changer la composition du caramel, et c'est ainsi que la réglementation reconnaît plusieurs caramels qui sont vendus avec des noms de code E150 a, E 150 b, E150c, E150 d, selon la petite quantité de composé que l'on a ajoutée pour guider la réaction  dans un sens ou dans un autre, avec des résultats gustatifs différents. On peut vouloir des caramels plus bruns, sans être âcres, ou des caramels avec des goûts particuliers. Toujours lors du refroidissement, on peut bien sûr ajouter des ingrédients qui contiennent des matières grasses, tels le beurre ou la crème, et l'on aura alors des caramels mous. L'univers des caramels est immense, encore très mal connus, parce que les réactions chimiques qui ont lieu sont nombreuses, et que l'exploration de leurs mécanismes est parfois bien difficiles, mais je suis bien certain que nous avons encore beaucoup à découvrir... À condition d'aller explorer tout cela.


mardi 13 septembre 2016

En cuisine, de la physique et de la chimie

Alors que je suis lancé dans la confection quotidienne de billets plus techniques que moraux, où j'examine la confection de certains plats, je vois, après quelques jours, que j'ai plus décrit les phénomènes physiques que les phénomènes chimiques.

Par exemple, c'est la densité qui m'a intéressé à propos de cocktail, ou l'évaporation de l'eau à propos de soufflés, ou l'entrée de la matière grasse dans des viandes que l'on confit… Il y a plus là des phénomènes physiques que des phénomènes chimiques… apparemment.
Est-ce une impression ? Est-ce que la chimie qui s'opère est si complexe que je me rabats sur des phénomènes plus simples ? Et est-ce qu'il y aurait lieu de plus focaliser sur de la chimie ?

Prenons le cas d'un soufflé. Certes, son gonflement est dû à l'évaporation de l'eau, ce que l'on nomme une transition de phase, phénomène  physique pour lequel il  n'y a pas de changement de nature des composés présents (les mêmes molécules sont présentes avant et après). L'évaporation de l'eau, ce n'est donc pas de la chimie, mais de la physique.
Toutefois réduire le soufflé à l'évaporation de l'eau serait une erreur, car le soufflé, qui est liquide initialement se voit finalement solidifié (relativement)  par la coagulation des protéines de l'oeuf. Or la coagulation est un phénomène véritablement chimique, puisque les protéines individuelles, sortes de pelotes, sont déroulées par la chaleur et, une fois déroulées, elles s'attachent par des liaisons chimiques que l'on nomme des ponts disulfure, formant un réseau qui s'étend dans toute la masse du soufflé. Le soufflé ne se ferait pas sans cette transformation chimique, et il est bon de s'en apercevoir.
Pour un tel cas, c'était donc vraiment une impression que de penser la confection du soufflé comme une transformation physique. En réalité, il faut de la physique et de la chimie, c'est-à-dire en réalité de la physico-chimie, qui est une science merveilleuse, en ce qu'elle considère les phénomènes physiques et chimiques en relation.
Continuons avec le soufflé. La croûte du soufflé ? Bien sûr, l'eau de surface s'évapore quand la température est supérieure à 100 degrés, mais on voit bien que la couleur change : la surface supérieure du soufflé brunit. Pourquoi ? Ayant d'abord observé que le goût de cette croûte est   puissant, différent de celui de l'intérieur du  soufflé, on peut s'interroger, et l'on doit considérer que l'appareil est fait d'eau, de matières grasses, de protéines, de quelques « polysaccharides », et que c'est l'échauffement de cette matière, au-delà  de 100 degrés, qui conduit à ce brunissement.
Les lipides ? Bien sûr, ils peuvent réagir, mais ils sont assez inertes, et la réaction est lente.
Les polysaccharides ? Ils étaient initialement empesés dans l'appareil à soufflé, de sorte que les grains d'amidon ont pu s'interpénétrer avant que l'eau soit évaporée. Mais l'expérience qui consiste à placer de la farine dans une poêle chauffée, ou dans un four à côté d'un soufflé que l'on cuit, montre qu'il n'y a guère de brunissement.
Les protéines, elles, sont bien plus sensibles, comme on le voit quand on produit un beurre noisette : tant qu'il y a des bulles, la température est de 100  degrés, et la couleur reste celle d'un beurre fondu, mais quand les bulles disparaissent, et que la température augmente,  la préparation  brunit, prend du goût. Manifestement la pyrolyse des protéines est importante.
Bien sûr  il y a aussi des réactions de Maillard entre le lactose et les protéines, mais ces réactions sont bien secondaires.
Pyrolyse des protéines : voilà des réactions qu'il faudra bien explorer pour mieux comprendre les changements de goût des aliments en cours de cuisson.
Que ferons-nous de telles informations ? Les chimistes ont découvert que les réactions de Maillard produisent des goûts différents quand elles sont en présence de matières grasses, et que ce ne sont plus stricto sensu des réactions de Maillard. Quand on comprendra mieux ces différences, alors ont pourra faire une cuisine plus précise, avec des goûts plus assurés. Il est donc essentiel de se préoccuper un peu plus de chimie dans la transformation des aliments.










Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)    

dimanche 11 septembre 2016

A propos de chimie en cuisine : de l'importance de la non existence


Je viens d'avoir une idée qui m'amuse (et j'espère qu'elle amusera aussi mes amis, de sorte qu'elle pourra devenir "amusante"), alors que je m'interrogeais sur les réactions chimiques qui peuvent avoir lieu en cuisine, lors de la préparation des aliments.

Cette idée est la suivante : il a souvent une foule de réactions chimiques provoquées par la cuisson, mais il y a aussi des réactions chimiques… qui n'ont pas lieu !

Qui dit réactions dit réactifs. En cuisine, des réactions chimiques peuvent avoir lieu entre des réactifs présents dans les aliments. Quels sont-ils ? Par ordre de composition décroissante, il y a l'eau, puis  les polysaccharides, les protéines, les lipides. Parmi les polysaccharides, les plus abondants sont les celluloses, les pectines, les amyloses et amylopectines.

Pour les premières, les celluloses, il y a ce fait remarquable qu'elles sont extraordinairement résistantes, inertes chimiquement. Faites l'expérience de chauffer du coton hydrophile dans l'eau, et vous aurez lieu d'être surpris que rien ne se transforme apparemment... et même en réalité. C'est la raison pour laquelle on peut faire bouillir les chemises en coton de nombreuses fois, pour les laver :  le coton est  fait de celluloses, de sorte que l'ébouillanter le débarrasse de ses souillures sans l’atteindre.

Dans l'eau bouillante comme dans l'intérieur des aliments que l'on cuit, la température est limitée à 100 °C, mais obtiendrait-on des réactions  chimiques des celluloses en les chauffant d'avantage ?
Pour dépasser les 100 °C  de l'eau bouillante, un bon moyen est d'utiliser de l'huile, car on sait que les bains de friture atteignent couramment 170 °C, puisque les  friteuses sont bridées à cette température pour des raisons de sécurité. Mais là rien ne se passe non plus. Les celluloses sont extraordinairement inertes, parce que les molécules de cellulose sont enroulées en hélice, ce qui les stabilise chimiquement.
Bien sûr, on peut détruire les molécules de cellulose par la chaleur, comme quand on met du bois dans le feu, ou quand on laisse un tronc d'arbre se décomposer dans la forêt. Je fais une parenthèse pour indiquer que  l'expression « se décomposer » est obscure… et fausse, car ce n'est pas le bois qui se décompose, mais un ensemble d’organismes vivantes, gros ou très petits, qui décomposent le bois : bactéries, champignons, moisissures… Souvent, ces organismes agissent à l'aide d'enzymes, telles les cellulases, dont le nom se borne à indiquer qu ces enzymes se bornent à décomposer les molécule de celluloses  (dans le bois, il n'y a pas que les celluloses qui soient résistantes ; il y a  aussi la lignine, et l'on connaît des ligninases..)

Mais quand on revient en cuisine, on ne dispose pas (encore) de ces outils que sont les enzymes, et l'on est en droit de considérer que la cellulose est inerte chimiquement, et que ses molécules sont donc stables. Quand il s'agit d'attendrir une préparation, c'est ennuyeux, mais cette stabilité peut devenir intéressante quand on veut conserver les celluloses qui contribuent à la consistance : la cuisson agit sur les autres composés, sans toucher aux cellules.

Preuve s'il en est que la non existence est quelque chose d'important !























Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)   

jeudi 8 septembre 2016

Le parallèle entre le règne animal et le règne végétal peut-il nous aider à cuisiner ?

Les ressemblances -et les différences- physico-chimiques des règnes animal et végétal sont fascinantes, surtout quand on se souvient qu'elles résultent de la longue évolution qui a conduit à ces deux règnes du vivant.

Les ressemblances ? Dans le sang, par exemple, nous avons des pigments nommés hémoglobine, dont le centre est un groupe « hème ». Pour les végétaux, de même, les chlorophylles sont des pigments dont le coeur est un noyau tétrapyrrolique, tout à fait apparenté au groupe hème.
La ressemblance étant établie, les différences peuvent s'étudier, et notamment le fait que l'atome de fer des animaux corresponde à l'atome de magnésium des végétaux. Pourquoi l'un ? Pourquoi l'autre ? En tout cas, ils conduisent  tous les deux à l'apparition d'une couleur brune, quand les tissus des deux sortes sont cuits !



Autre exemple : celui du matériau qui entoure les cellules vivantes. Pour les animaux, c'est le tissu collagénique qui, comme son nom l'indique, est fait d'une protéine nommée collagène. Pour les végétaux, la membrane est entourée par la paroi cellulaire, laquelle est faite de molécules de celluloses et de pectines.

Quoi de commun ? La cuisine rapproche les deux  tissus, de ce point de vue, car la cuisson des végétaux, tout comme celle des viandes, conduit à un attendrissement. Dans le premier cas, les pectines sont dégradées par une réaction nommée « bêta élimination », qui n'est en réalité qu'une hydrolyse, et, dans le second cas, ce sont les protéines qui sont dissociées, également par une hydrolyse. D'ailleurs, cette cuisson conduit à des gels dans les deux cas… quand on s'y prend bien. Lors de la cuisson d'une confiture, si l'on extrait les pectines sans trop les dégrader, elles forment ensuite les gelées ou les confitures. Pour la cuisson des viandes, aussi, on obtient des protéines (qui prennent alors le nom de  gélatines), qui, si l'on s'y prend bien, forment un gel, au refroidissement. Dans les deux cas, la cuisson prolongée ne permet plus la formation du gel, parce que la dégradation des « polymères » que sont les pectines ou la  gélatine  a été excessive.

La cuisine peut-elle gagner à poursuivre le parallèle ?












Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)   

mercredi 7 septembre 2016

Inspiré des viandes ?

Pourquoi la viande est-elle le plus souvent accompagnée de sa sauce ou de  son jus? Souvent les viandes sont accompagnées d'une sauce, d'un jus… et cela est mereilleux, parce que cela donne l'occasion de saucer avec du pain. Le plaisir humain s'interprète quand même peut-être, aussi , en terme biologiques, et il est exact que, pour mieux déglutir , la salive s'impose. Toutefois, elle n'est pas toujours suffisante, et c'est alors que la sauce est bienvenue. Le pain, lui, a l'intérêt de libérer lentement dans l'organisme des molécules de glucose qui contribuent au bon fonctionnement de l'organisme et à la sensation de bien-être que ce bon fonctionnement ramène à notre conscience.

Mais oublions le pain et concentrons nous sur la viande et sur sa sauce. Si  la sauce s'impose avec la viande, alors se pose la question de savoir comment la placer dans l'assiette, avec la viande. Dessous ? Dessus ? Autour ? A côté ?
Et pourquoi pas dans la viande ?
Cela fut la solution des intrasauces, ou plats à  la Pravaz, où un liquide était injecté à la seringue dans les viandes. C'est une manière rapide, pas très efficace.
Y en a-t-il d'autres ? Par exemple, quand  on prépare une viande artificielle, par exemple à partir d'une feuille de protéines striées  que l'on roule sur elle même, on peut très bien y inclure des perles d’alginates contenant un liquide que serait la sauce. Et on n'est pas limité par une seule poche de liquide dans la viande : on pourrait en mettre plusieurs…
Évidemment de tels systèmes me rappellent les fibrés que j'avais introduits il y a longtemps, mais l'ensemble des propositions faite pour produire des viandes artificielles devrait conduire  à des systèmes nouveaux. On trouvera cela dans mon article téléchargeable sur le site http://www.academie-agriculture.fr/publications/n3af/n3af-2016-6-what-can-artificial-meat-be-note-note-cooking-offers-variety-answers















Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)   

lundi 5 septembre 2016

Pourquoi les confits sont merveilleux

Les confits sont merveilleux, parce qu'ils sont gonflés de graisse, au moins quand ils sont bien faits. Or la graisse est, surtout quand elle n'est pas apparente, éminemment appréciée par l'être humain, dont l'appareil sensoriel comporte des détecteurs de cette matière indispensable à la construction et au fonctionnement de l'organisme.

Commençons par dire l’intérêt de la matière grasse pour l'organisme. Pour la partie molle, ce dernier est constitué de cellules, et, par exemple, les fibres musculaires sont comme de longs et fins tuyaux emplis d'eau et de protéines. Les tuyaux eux-mêmes, l'enveloppe, c'est d'abord une membrane cellulaire, puis du tissu collagénique. Si le tissu collagénique est essentiellement fait d'une protéine nommée collagène, la membrane, elle, est faite principalement de molécules de "phospholipides", à savoir des molécules faites d'une tête phosphatée et d'un corps lipidique. « Phosphaté » : cela signifie qu'il y a, au centre d'un tout petit groupe chimique fait d'atomes d'oxygène, un atome de phosphore. « Lipidique » : dans ce cas, il y a une chaîne d'atomes de carbone, une sorte de squelette auquel sont attachés des atomes d'hydrogène.
Autrement dit, notre organisme est plein de lipides, dans sa structure même, et notre alimentation, qui vise initialement à permettre le développement de l'organisme et son maintien, doit apporter des lipides. De la sorte, il n'est pas étonnant que l'évolution biologique ait introduit dans nos comportements une recherche inconsciente de lipides dans l'alimentation, et, donc, des systèmes de détection (sensorielle) de ces composés.
Autrement dit, quand nous mangeons un aliment qui contient de la graisse, notre organisme est contenté.




La confection des confits


Passons maintenant à la confection des confits. On doit rappeler qu'il s'agit initialement d'un procédé de conservation. Quand un animal est abattu, sa viande ne se conserve pas très longtemps, surtout quand il n'y avait pas de réfrigérateurs, et, avant l'appertisation (la mise en conserve), au 18e siècle seulement, l'humanité a évidemment cherché des moyens de conserver la viande pour les périodes de disette. Quand une famille abat un cochon, il est impossible de manger toute la viande, et il faut la conserver pour plus tard. D'où la mise au sel, le séchage, le fumage… et les confits.
Pour ces derniers, c'est simple, car de nombreuses opérations culinaires permettent de récupérer de la matière grasse, d'où les « pots à dégraissis » que l'on avait naguère dans les cuisine. Au lieu de cuire dans du bon beurre frais, ce qui était réservé à quelques nantis, on utilisait la graisse de ces pots. Elle servait aussi bien pour les sautés que pour les confits.
Pour les sautés, la pièce est posée sur la matière grasse, dans un sautoir, et la matière grasse ne sert alors qu'à assurer le contact, et donner du goût, en contribuant aux réactions chimiques qui colorent la surface. Cela s'apparente à ce que l'on nomme une « friture plate ».
 A l'opposé, on peut immerger entièrement la viande dans la matière grasse, tout comme un bouillon consiste à immerger dans l'eau. Cela s’apparenterait à la friture profonde si l'on dépassait la température d'ébullition de l’eau. Mais dans un confit, l'idée est de cuire le moins possible, ou, plus exactement, très longuement, mais à basse température. De la sorte, la viande reste tendre, conserve sa jutosité, la contraction des fibres musculaires étant évitée.
Simultanément le tissu collagénique se défait progressivement, phénomène qui est mis en œuvre dans les cuissons à basse température pour attendrir les viandes.
 Or quand le tissu collagénique se défait, les fibres musculaires peuvent se séparer, ce qui se voit bien quand on fait bouillir de  la viande dans l'eau pendant longtemps. On obtient alors une « touffe de fibres », entre lesquelles le liquide extérieur peut migrer par « capillarité ». Je renvoie vers un autre billet pour ce phénomène, et me contente d'observer ici que la matière grasse entre dans la viande, la gorgeant de graisse comme un pinceau se gorge d'encre ou de peinture. Simultanément les micro-organismes sont tués, et, si la viande est conservée dans la graisse, alors ces micro-organismes n'ont plus la possibilité de la faire putréfier, car ces bestioles ont besoin d'eau pour vivre. La viande peut donc se conserver très longtemps.
Puis, lors de la cuisson du confit, la cuisson finale qui prépare la consommation, on pose la viande dans un ustensile de cuisson et l'on chauffe. La matière grasse adhérant à la viande permet de ne pas en ajouter, mais, même si l'on ne voit pas la matière grasse de l'intérieur, elle est présente, de sorte que finalement, celui ou celle qui déguste un confit consomme beaucoup de matière grasse qu'il ne voit pas, mais dont son organisme a besoin… quand elle n'est pas en quantité excessive. 

La nutrition nous fait tourner en bourique... et elle se décrédibilise

Gras saturé ? Insaturé ? L'industrie alimentaire américaine, qui avait été une des premières à bannir les graisses saturées, revient sur son choix… qui a contribué à augmenter obésité aux États-Unis. Et l'on va voir revenir les graisses saturées, avec des discours marketing qui en vanteront les bienfaits. Tout cela, c'est évidemment du baratin, mais on ne manquera pas ici l'occasion de répéter le seul conseil diététique vraiment juste : il faut manger de tout en petites quantités et faire de l'exercice.
Ne finassons pas : dans le « tout », il n'y a pas la ciguë ni l’amanite phalloïde, mais il peut y avoir des composés qui ont des toxicités, car c'est aussi la dose qui fait que quelque chose est ou non un poison. Or, un poison en petites quantités n'est pas toujours un  poison, et il peut même devenir utile.
De toute façon, on n'arrivera pas à rassurer ceux qui ont peur (de leur alimentation), et, en conséquence, on n'essaiera certainement pas de les rassurer. Je n'aime pas l'argument d'autorité pour mille raisons que j'ai exposées dans des billets précédents, mais je propose de répéter avec force : mangeons de tout en petites quantités et faisons de l'exercice !






Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)