samedi 30 avril 2016

Ne pas confondre les faits et les interprétations


Ne pas confondre les faits et les interprétations : le conseil fut donné il y a quelques décennies par Hubert Beuve-Méry, un des fondateurs du journal Le monde, mais elle s'impose évidemment en sciences de la nature (en plus de s'imposer, plus que jamais, pour le journal de Beuve-Méry).


Pour Beuvre-Mery, le bon journaliste sait faire la part des choses : il est honnête (ne fait certainement pas ce qui est décrit dans Le président, à la suite de la séquence https://www.youtube.com/watch?v=o6pcBGpag2o ), et présente d'abord les faits, avant les interprétations.
Oui, même pour un journal d'opinion, il est honnête de  donner les faits. Ensuite, on peut utiliser ces derniers pour asseoir des opinions, des valeurs, des jugements.

D'où mon étonnement (pour ne pas dire plus), il y  a quelques mois, quand j'ai assisté à une conversation où un journaliste (je le savais détestable, mais j'en ai eu la preuve) d'un grand quotidien (hélas), parlant à auditoire dans une soirée, se disait parfaitement vertueux, selon lui, parce que, dans un de ses articles (doit-on nommer cela "article", ou bien tract de propagande?) avait fait état de travaux qui étaient opposés à ses propres idées (en matière d'écologie).
Sur  le coup, j'avais été intrigué, parce que je savais l'homme idéologiquement malhonnête... mais qu'il semblait y avoir  une certaine honnêteté dans cette affaire. Toutefois, quand on y pense bien, notre homme n'aurait-il pas mieux pas  fait de changer ses idées, puisqu'elles étaient contredites par les faits ? Oui, finalement, je vois moins de la vertu que de la bêtise ou de la malhonnêteté, dans ce comportement dont le journaliste se vantait.

Passons... en tirant des leçons sur le crédit que l'on doit accorder au journal où cet homme travaille.

Plus positivement, donc, cette question des faits et des interprétations, qui donc a été énoncée pour le journalisme, est essentielle en sciences, où nous cherchons les mécanismes des phénomènes, c'est-à-dire des interprétations des faits.
Le scientifique observe un phénomène, le quantifie, obtient des données, et il ou elle doit ensuite chercher des régularités, des mécanismes.
Sans des données fiables, nos recherches de régularités et mécanismes ne valent rien, ce qui justifie qu'un de mes amis chimiste répète à l'envi, et très  justement,  que "donnée mal acquise ne profite à personne".
Oui, il nous faut des faits bien établis, validés, et validés encore, afin que nous ne bâtissions pas des châteaux sur le sable, que ce soit sur un sol parfaitement ferme que nous érigeons nos théories. Sans quoi nos idées ne valent rien, et elles s'écrouleront au moindre coup de vent. Il faut donc d'abord les faits, puis les interprétations. Des faits bien établis, et des interprétations qui n'aillent pas au-delà de ce que les faits nous font penser.

Bien sûr, l'induction qui est au coeur du travail scientifique, dépasse les faits en ce qu'elle propose des prévisions de faits qui ne sont pas établis. C'est même là l'intérêt des théories scientifiques que de recouvrir d'innombrables situations par un même cadre théorique, de mieux décrire le réel, les phénomènes, mais il y a précisément ce risque d'aller élucubrer.
Nous devons chercher les interprétations, les tester, avec prudence. Avec audace, mais avec raison, en ce que nous devons, quand nous avons fait une proposition théorique, chercher à la tester… en vue de la réfuter, car la science honnnête sait bien que nos théories ne sont que des descriptions approximatives, que nous devons donc améliorer sans cesse, pour nous approcher  d'une meilleure description du monde.

La description parfaite n'existe pas, mais nous sommes dans cette description de meilleure en meilleure, et, chemin faisant, nous décrivons des objets, notions, concepts, phénomènes, qu'il était impossible de voir auparavant.










Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

dimanche 17 avril 2016

En cuisine, le traditionnel est-il bon ?

En cuisine, le traditionnel est-il  bon ?

Il y a deux difficultés, dans cette question.

D'abord, le traditionnel des uns n'est pas le traditionnel des autres.

Le traditionnel des Alsaciens n'est pas celui des Provençaux, et, même, le traditionnel des Haut-Rhinois n'est pas celui des Bas-Rhinois. Mieux encore, dans mon village, il y  a une tradition des crécelles (Ratscha)  d'avant Pâques, qui n'existe pas dans les villages voisins, mitoyens. Bref, "le" traditionnel n'existe pas. De sorte qu'il ne peut être bon (les carrés ne sont pas ronds, de sorte que leurs "angles" ne sont pas de 90 degrés, par exemple).
Supposons, pour simplifier que le traditionnel soit notre traditionnel à nous, individu. Qu'il soit bon ou non, peu importe, car il est traditionnel, et cela fait des millénaires que l'on sait qu'il est inutile de discuter des goûts, car chacun a les siens,  qui n'ont aucune valeur universelle. A quoi... bon en discuter ?

Cela étant, dans la question, il y a aussi la difficulté du mot "bon". 
 Dans le bon, il y a le sain, le non toxique, mais il y a aussi le « ce que j'aime ». Or nous aimons souvent ce que nous avons appris à manger quand nous étions plus jeunes, que cela soit sain ou non. Pour l'Alsacien, le munster est bon, mais il ne l'est pas pour certains de nos amis asiatiques. Pour certaines populations, les scorpions grillés sont un régal, mais l'expérience m'a montré que mes collègues parisiens n'étaient pas prêts à en manger. D
'un point de vue toxicologique, le munster ne présente pas de risque quand il a été « « bien fait », pas plus que les scorpions grillés quand ils ont été bien grillés.
Reste alors la question  toxicologique : manger sain. Là, encore, difficile de généraliser. Il est vrai que certains groupes humains ont appris à rendre comestible des ingrédients qui ne l'étaient pas. Par exemple, les haricots blancs contiennent des composés toxiques que la cuisson détruit. Le manioc, également, est toxique, quand il n'est pas préparé, et les êtres humains ont trouvé une façon traditionnelle d'assainir le tissu végétal. En revanche, il est de nombreux cas où l'humanité croit manger sainement parce qu'elle mange traditionnellement, mais s'intoxique sans le savoir. Dans nombre de remèdes dits fautivement "naturels", il est proposé des ingrédients dangereux.


Mais cela, personne ne veut le savoir. Et il y a aussi les cas où l'on mange du malsain en ne voulant pas le savoir (barbecue, par exemple).

Bref, bien des difficultés pour une simple question !









Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

samedi 16 avril 2016

Comment les asperges prennent-elles le sel ?




Il a été dit que « les asperges ne prennent pas de sel », et qu'il faut considérablement sursaler l'eau pour avoir des asperges correctement salées. Est-ce exact ?


Lors de notre séminaire de gastronomie moléculaire d'avril 2016, nous avons décidé de tester cette proposition en comparant des asperges cuites soit dans de l'eau sans sel, soit dans de l'eau sursaturée en sel.


Pour des raisons expérimentales, nous avons choisi de placer les asperges dans de l'eau bouillante (on sait que le sel en excès augmente la température d'ébullition de quelques degrés).


Deux casseroles d'eau ont donc été portées à ébullition (environ 3 L d'eau).

Dans une des casserole, l'eau n'était pas salée.

Dans l'autre casserole, on avait ajouté du sel (plusieurs centaines de grammes) jusqu'à ce que le sel ne se dissolve plus.  L'eau était donc alors exagérément salée. Elle était trouble.

Au  même moment, des asperges de même calibre, pelées, ont été ajoutées (3 par casserole) dans les deux casseroles. Nous avons observé une écume abondante dans la casserole d'eau (beaucoup) trop salée.


Après 10 minutes de cuisson, on a sorti une asperge de chaque casserole, on l'a fait tremper dans l'eau non salée pendant plus de 30 secondes, afin d'éliminer le sel de surface, et l'on a  fait goûter en aveugle à un participant du séminaire : il a immédiatement reconnu que l'asperge cuite dans l'eau trop salée était excessivement salée.

Le pied de l'asperge cuite dans l'eau trop salée était plus salé que la tête, ce qui s'explique probablement par le fait que l'eau salée entre par capillarité dans l'asperge. La tête était également trop salée.

Surtout, l'asperge dans l'eau trop salée était  plus molle, et il y a une différence de couleur : la tête est plus verte, et plus jaune dans l'eau non salée. 

On a confirmé l'effet pour des asperges cuites plus longtemps.


Puis nous avons  comparé es asperges cuites dans l'eau saturée en sel, ou dans de l'eau « normalement » salée. Le même effet que précédemment a été observé.


La conclusion est donc très claire : contrairement à ce qui a été prétendu, les asperges « prennent le sel », et il n'est pas souhaitable de trop saler l'eau de cuisson.





















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dimanche 10 avril 2016

Le steak au poivre

On connaît la recette du steak au  poivre :

1. Ciseler de l'échalote.
2. La cuire dans du beurre pendant une dizaine de minutes.
3. Enduire la viande d'huile et la  de poivre concassé ; l'assaisonner de sel fin.
4. Faire rissoler du beurre frais dans une poêle, puis ajouter la viande et la cuire jusqu'à obtenir une cuisson saignante.
5. Retirer alors la viande de la poêle.
6. Ajouter la crème fraîche et la laisser chauffer jusqu'à réduction et obtention d'une sauce au poivre onctueuse.
7. Remettre ensuite la viande dans la poêle, ajouter le cognac et flamber.


Tout  est-il bien dit  ?  Non : on oublie ce fait essentiel, que le beurre chauffé charbonne, qu'il y ait une goutte d'huile dedans ou pas. Le seul moyen d'éviter le noircissement, c'est d'utiliser du beurre clarifié, ou bien de procéder à un refroidissement régulier.

Le beurre clarifié ? Le beurre est fait de matière grasse, d'eau, de protéines et de lactose. Prenons en sens inverse, maintenant. Le lactose est le sucre du lait, et il est dissout dans l'eau. Quand il chauffe, il caramélise, comme le ferait du saccharose, ou sucre de table. Les protéines ? Elles brunissent à la chaleur, et font ces particules "charbonneuses" que l'on obtient quand on fait du beurre noir. L'eau  ? Elle est libérée par la fusion de la matière grasse, vient bouillir au contact de la poêle, de sorte que la vapeur formée fait des bulles.
Clarifier du beurre, c'est le fondre par avance, très doucement, sans mouvement dans la masse liquide, afin de récupérer une phase aqueuse au fond, une phase grasse liquide, et une écume. La phase grasse liquide, récupérée après  écumage puis décantation, est le beurre  clarifié. Il est intéressant d'en faire une grande quantité d'un coup, par avance. Et ce beurre clarifié ne brunit plus.
On peut aussi  utiliser du beurre  que l'on fait cuire jusqu'au stade noisette, mais  que l'on arrête à ce stade en lui  ajoutant un liquide : du vin, du jus de citron, du jus  d'orange, du bouillon.... Cuillerée par cuillerée, afin d'éviter le noircissement.

Et c'est ainsi que la cuisine est bonne, n'est-ce pas ?







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