mardi 5 décembre 2017

Vendredi, jour des questions...


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Dans le cheminement des sciences quantitatives, il y a l'expérience. 
L'expérience peut se faire de mille façons, mais il y en a une, en particulier, qui m'intéresse par-dessus tout : c'est celle où une question est posé au monde, lequel doit répondre par oui ou par non. 
Bien sûr, on peut imaginer des questions complexes, avec des réponses plus alambiquées. Mais ira-t-on très vite si les interprétations que l'on fait de ces réponses sont trop compliquées ? Bien sûr il y a les protéomiques, les génomiques, toute une sorte de omiques, où l'analyse, d'un seul coup, révèle une foule de composés présents dans un système. 
 
La question en est : que fait-t-on de toutes ces données ? Des statistiques ? Pourquoi pas. Toutefois, les statistiques produiront des regroupements qu'il faudra ensuite interpréter. Il y aura du « haut débit », mais, derrière, il y aura tout le travail nécessaire pour aller apprendra à interpréter les résultats des statistiques. 
Quel sera le niveau de preuves obtenues ? Ne devra-t-on pas, alors, poursuivre les interprétations par des travaux supplémentaires, qui ralentiront la recherche ? 

 
Ce sont là des questions. Ce que je crois savoir, c'est que l'analyse de réponse du type oui ou non restera toujours beaucoup plus simple que les désenchevêtrements d'échevaux composés de nombreux fils.

dimanche 3 décembre 2017

Foie gras

On me demande ma merveilleuse recette de foie gras, et la voici :


- un foie juste passé sous l'eau dans une terrine
- du liquide à hauteur : mi porto, mi riesling, du sel, beaucoup de poivre
- on couvre
- 1 h de cuisson au four à 60 °C
- on stocke au moins 1 semaine au réfrigérateur
- au dernier moment, on récupère le liquide, on le fait gélifier avec gélatine
- quand on coupe le foie, prendre un couteau pas trop coupant, pour ne pas couper les veines, et les faire seulement glisser
- servir avec gelée


A güeter (bon appétit, en alsacien)

samedi 2 décembre 2017

C'est la fin...

Oui, c'est la fin de ce blog, non pas que je m'arrête de le tenir, mais surtout que je le réunis avec un autre blog à l'adresse https://hervethis.blogspot.fr/
Lors de notre dernier séminaire, je montrais cette photographie d'un plat servi par Andrea Camastra, dans son restaurant Senses, à Varsovie :



 On y voit de la viande... de sorte que mes amis m'ont fait observer que les plats n'étaient pas 100 % note à note. L'observation était légitime, mais la raison est la suivante :

Le menu est en quatre actes.

Le premier est un jeu 100 % note à note.

Puis il y a un mélange de cuisine classique, cuisine moléculaire, avec des "agréments" note à note... qui tiennent la place gustative principale. Ce second acte veut également rappeler que les cuisiniers de Senses maîtrisent parfaitement toutes les techniques, anciennes ou modernes. Par exemple, il y a des cuissons inédites des viandes, mais en l'occurrence, le goût des plats est un goût note à note.

Les troisième et quatrième acte sont la partie sucrée, entièrement note à note. Bien sûr, les techniques peuvent être classiques ou moléculaires, mais elles sont au service d'un goût entièrement nouveau.

Pas d'inquiétude, donc !  Et n'hésitez pas à aller à Varsovie avant qu'il ne soit trop tard, et que le monde entier de la cuisine ait réservé les places trois ans  à l'avance, comme chez Ferran Adria





Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)  

jeudi 30 novembre 2017

Le travail du mois

Chers Amis

Vous savez que, chaque mois, je fais une proposition "technologique" à mon ami Pierre Gagnaire, qui introduit cette nouvelle technique dans sa cuisine : il met au point entre une et quatre recettes qui utilisent la technique, met la recette en ligne... et l'utilise évidemment dans l'un ou l'autre de ses restaurants.

Cela se poursuit depuis 17 ans : n'est-ce pas la preuve que les sciences de la nature -en l'occurrence la gastronomie moléculaire- irriguent merveilleusement la technologie, la technique et l'art ?
Et n'est-ce pas, aussi la démonstration que la France est LE pays de l'innovation alimentaire  ?

Pour ce mois, vous trouverez nos travaux sur http://www.pierre-gagnaire.com/pierre_gagnaire/travaux_detail/118

Vive la Gourmandise éclairée !











Lors de notre dernier séminaire, je montrais cette photographie d'un plat servi par Andrea Camastra, dans son restaurant Senses, à Varsovie :



 On y voit de la viande... de sorte que mes amis m'ont fait observer que les plats n'étaient pas 100 % note à note. L'observation était légitime, mais la raison est la suivante :

Le menu est en quatre actes.

Le premier est un jeu 100 % note à note.

Puis il y a un mélange de cuisine classique, cuisine moléculaire, avec des "agréments" note à note... qui tiennent la place gustative principale. Ce second acte veut également rappeler que les cuisiniers de Senses maîtrisent parfaitement toutes les techniques, anciennes ou modernes. Par exemple, il y a des cuissons inédites des viandes, mais en l'occurrence, le goût des plats est un goût note à note.

Les troisième et quatrième acte sont la partie sucrée, entièrement note à note. Bien sûr, les techniques peuvent être classiques ou moléculaires, mais elles sont au service d'un goût entièrement nouveau.

Pas d'inquiétude, donc !  Et n'hésitez pas à aller à Varsovie avant qu'il ne soit trop tard, et que le monde entier de la cuisine ait réservé les places trois ans  à l'avance, comme chez Ferran Adria





Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)  

dimanche 19 novembre 2017

Beurres feuilletés... à tout ce que l'on veut

J'ai inventé il y a plus d'un an le "beurre feuilleté", que j'ai "donné" en premier à mon ami Pierre Gagnaire, comme je le fais depuis maintenant dix sept ans chaque mois : http://www.pierre-gagnaire.com/pierre_gagnaire/pierre_et_herve. On le fait avec du beurre, mais avec toute autre matière grasse qui se comporte comme lui : le fromage, le foie gras, le beurre noisette, le chocolat.
Le chocolat ? Oui, le chocolat... à condition de comprendre que le beurre de cacao n'a pas le même comportement de fusion que le beurre, parce que sa composition est différente. Analysons.

La différence entre le beurre et le chocolat, cela tient à deux aspects essentiels, à savoir la composition en composés odorants ou sapides, d'une part, et la composition en triglycérides, d'autre part.
D'abord, le beurre. Il est principalement fait de lipides (matière grasse), d'eau, d'un sucre nommé lactose, de protéines. Lors de la clarification d'un beurre, l'eau chargée de lactose et de certaines protéines tombe au fond de la casserole, tandis que surnage la matière grasse, et une écume faite de protéines, notamment.
Le chocolat ? Du beurre de cacao, du sucre, des matières végétales, avec de nombreux composés qui donnent du goût, formés lors de la fermentation ou de la torréfaction.

Cela étant, pour nos affaires de beurre feuilleté, la question essentielle est le comportement mécanique, qui découle principalement de la constitution en molécules de "triglycérides". Oui, les matières grasses sont faites de composés que l'on nomme de triglycérides, dont les molécules sont comme des peignes à trois dents. Selon la longueur des "dents", les triglycérides fondent à froid ou à chaud.
Pour le beurre, il y a des triglycérides d'innombrables sortes (des dizaines de millions), de sorte que le beurre commence à  fondre vers -10 degrés, et finit de fondre vers 50 degrés. A la température de 20 degrés, il y a environ 70 pour cent de triglycérides fondus dans le beure, ce qui lui donne son comportement mou, tartinable.
En revanche, pour le chocolat, la fusion commence vers 30 degrés, et elle est achevée vers 40 degrés, ce qui  explique que, à la température de 20 degrés, le chocolat soit dur.
Autrement dit, sans précautions particulières (notamment une pièce à une température précise), on ne pourra pas faire du "beurre de cacao feuilleté", ni même utiliser du beurre de cacao ou du chocolat pour faire une couche de feuilletage.

 Comment faire, alors, pour produire ces deux résultats ? On peut tout d'abord observer que le chocolat, c'est du beurre et du chocolat, pour faire simple : pourquoi ne pas ajouter du sucre (glace) à du beurre (du vrai, pas du beurre de cacao) ou à de la margarine, avant d'y mettre de la poudre de cacao ? Autre solution simple : ajouter du beurre ou de l'huile, ou dela margarine à du chocolat fondu, pour en changer le comportement de fusion. Combien ? Tout dépend de la matière grasse ajoutée, mais la proportion sera entre 20 et 70 pour cent en masse. Cela n'empêchera pas qu'il faudra surveiller la température, mais les pâtissiers ont l'habitude.






Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)   

Answers about Note by Note Cooking

Désolé, c'est en anglais... mais :
1. une fois n'est pas coutume
2.  il y a Google translate (ou d'autres) pour ceux qui veulent



Today, I have to answer to some questions, about Note by Note Cooking. I share the answers :


How did you come out to invent Note by Note Cooking ? 
It was in 1994, as I was writing the draft of an article to be published in Scientific American. The article was to be co-signed with Nicholas Kurti, but I did generally the first draft, and Nicholas was adding additions and making corrections. Indeed the text was finished, but the conclusion was missing, and we had a discussion with Nicholas. He said (and had wrote) that chemistry was already in the kitchen, and I told him that no, on the contrary, it was not there.
And indeed, at that time, I was playing by adding pure compounds in wine, whiskies, etc., so that I proposed to add this sentence in the text: "I dream of the time when recipe will include "add two drops of a dilute solution of mercaptan". Nicholas accepted my idea, but indeed I wanted more than simply adding kind of seasonings, and the years after, after Nicholas was dead, I proposed to make the whole dishes, compound by compound. And because I was unhappy of the confusion of molecular gastronomy with molecular cooking, I decided to create a name with a reference with art, not with chemistry of science.
I lectured for some years on it, between 1998 and 1999, but I stopped for a while, because the public was upset by the possibility of the Bug of the year 2000... and I resumed lecturing on it in 2004. In 2006, I asked Pierre Gagnaire to show a note by note dish, and this was shown to the press in Hong Kong in April 2006.


 What are the future plans for Note by Note Cooking ?  
Since 2006, I am lecturing all around the world about Note by Note Cooking, because I am sure that this new trend is the future of food, both because of art reasons and also because there will be 10 billions people to feed in 2050. Indeed, Note by Note Cooking is part the Note by Note Project, that includes rural development, regulation, technique for farmers, and more generally the whole chain from the farm to the plate. We have to convince farmers to accept fractionating and cracking raw products at the farm, or if they don't want to do this, we have to convince cooperative groupings to do it. We have to convince the public to cook Note by Note, and this will come after chefs have produced recipes. Indeed the new move at Senses will be internationally important, in this promotion of the food of the future. And of course, we have to develop education program around all this.


How do you see Note by Note Cooking now and where do you want to arrive ? 
 I see that :
- the idea is given
- we see clearly the works to be done, in the various aspects of the Project
- some chefs tested various possibilities for about 10 years
- a very important recent move was the new direction at Senses
- a startup was created for selling products for Note by Note Cooking
- more and more lectures, in profesional circles, are invited  on Note by Note Cooking
- a very important TV (Iron chef) in Japan included recently Note by Note Cooking
- etc.
But the goal is clear: I want the public to be able to cook note by note daily.


 What are the connections between  molecular gastronomy and Note by Note Cooking ? 
Indeed there are few. Of course, the fundamental studies of molecular gastronomy can help the chefs cooking note by note to make new textures, new colors, new tastes or new odors, etc. but the question is not there. Indeed I published a long time ago a book saying that cooking is love, art and technique. The Note by note technique is easy, and we have to develop the art. The  main barrier is the acceptability of the idea... but we have in front of us a whole continent of food that was never produced. The issue is: do we want to stay in the old world, or do we want to innovate really? This means crossing the ocean, i.e. working, making new recipes, testing new flavours.

dimanche 12 novembre 2017

A propos de caramel


La question du jour est triple :

Est-il possible de réaliser un caramel avec du beurre clarifié ?
Dans ce cas peut-on obtenir un caramel craquant ?
Et à l’opposé peut-on obtenir un caramel mou mais pas liquide ?


Tout d'abord, considérons une recette probable de mon interlocutrice :

1. Versez l'eau et le sucre dans une casserole. Faites chauffer la casserole.
2. Quand il est bien doré avec une odeur un peu âcre, ajoutez le beurre salé ou
le beurre doux hors du feu.
3. Mélangez puis ajoutez la crème fraîche.
4. Reportez votre crème à ébullition.


Je viens de tester l'idée du caramel avec du beurre clarifié... et tout s'est
bien passé, comme je m'y attendais, parce que la différence principale entre le
beurre clarifié et le beurre, c'est la présence (dans l'ordre décroissant de
quantités) d'eau, de protéines et de lactose. Mais il faut que je donne ma
théorie de la chose, en attendant d'avoir des observations qui la confirmeront
(avec l'aide d'un microscope).

Tout d'abord, on part de sucre et d'un peu d'eau : quand on chauffe, de l'eau
s'évapore, et la température reste d'abord égale à 100 °C. puis, quand la
concentration augmente, la température augmente aussi, et un brunissement
apparaît vers 140 °C. Le caramel se forme. Mais de l'eau subsiste.
Puis, quand on ajoute du beurre, ce dernier fond, libérant de l'eau qui vient
s'ajouter à celle qui restait. Où la graisse se trouve-t-elle ? Puisque nous
sommes en présence de graisse et d'eau, nous pourrions avoir une émulsion de
type eau dans huile, ou une émulsion de type huile dans l'eau : je penche pour
cette dernière, car l'ajout de crème vient se faire sans difficulté, la crème
apportant de la matière grasse sous forme de gouttelettes dispersées dans l'eau.
Puis, quand on poursuit la cuisson, on concentre encore un peu l'émulsion, et
l'on obtient la consistance voulue, qui évolue au refroidissement, dans la
mesure où la caramélisation, en plus de la couleur, engendre des "polymères",
longues molécules encombrantes qui augmentent la viscosité.

Mais je répète que ce sont des hypothèses, et qu'il faudrait une étude au
microscope. Pas difficile, mais il faudra trouver des secondes pour la faire.





 Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)  

mardi 7 novembre 2017

La chitine et l'octénol

Les champignons sont intéressants pour d'innombrables raisons, mais, pour ce qui concerne leur constitution moléculaire, ils ont au moins deux composés originaux : la chitine et le 1-octèn-3-ol.
Expliquons.

La chitine

La chitine, tout d'abord : c'est le composé spécifique de cette matière particulière qui fait la plume des calmars. La prochaine fois que vous nettoyerez des calmars, récupérez la plume et passez-la sous l'eau. Vous verrez un matériaux souple, transparent, solide. Ce que la simple observation à l'oeil ne montre pas, c'est que ce matériau est fait d'un seul composé, qui fut  identifié comme un composé nouveau par le chimiste nancéien Braconnot, puis par le chimiste parisien Auguste Odier, qui lui donna son nom de "chitine", du grec qui signifie "tunique".
Un composé unique ? Il en va de la chitine pour la plume du calmar comme de la cellulose pour le coton hydrophile : ce dernier est fait de cellulose quasi pure. Ou comme le sucre de table : il est fait, quasi exclusivement (très peu d'autres composés) de ce composé qui a pour nom saccharose. Ou comme l'eau, qui, qu'elle soit de puits, de pluie ou de rivière, est faite de ce composé qui est nommé "eau".
Dans chacune de ces matières, toutes les molécules sont identiques. Dans l'eau, il n'y a presque que des molécules d'eau. Dans le sucre, il n'y a presque que des molécules de saccharose. Et dans la plume du calmar, il n'y a presque que des molécules de chitine.

Et dans les champignons ? Là, c'est un mélange. D'abord, on sait bien que les champignons contiennent de l'eau (environ 95 pour cent) : la cuisson fait fait sortir cette eau. Mais il y a aussi des protéines, des lipides (des "graisses")... et des tas d'autres composés, telles des vitamines. Mais les parois contiennent cette chitine, originale puisqu'on ne la trouve que dans la plume des calmars, les exosquelettes des insectes et des crustacés... et dans les champignons.

L'octénol

On voit que je cite maintenant un composé sans apporter autant de précision que dans l'introduction du billet. C'est comme quand on dit Jean-Ba au lieu de Jean-Baptiste : cela ne porte pas à conséquence, et la familiarité le permet.
Bref, l'octénol est un composé merveilleux, puisqu'il a une odeur de... champignons. Disons intermédiaire entre le bolet et le sous-bois. Et, de fait, il est présent dans l'odeur naturelle de sous-bois et dans les champignons. Il en faut très peu pour que nous sentions cette odeur, et c'est un composé très simple, du point de vue moléculaire, puisque les molécules ont un squelette à seulement huit atomes de carbone.
Mais je veux surtout insister sur cette partie de phrase que je viens d'écrire : "très simple du point de vue moléculaire". On voit que je n'ai pas écrit "très simple du point de vue chimique". En effet, il y aurait lieu de parler de chimie si l'on considérait la synthèse de cet octénol... mais dans les champignons, l'octénol est présent naturellement. C'"est le même que si on l'avait synthétisé, bien sûr. Le même exactement, absolument exactement. Mais dans le champignon, si l'octénol est présent, il n'y a pas lieu de parler de chimie, mais seulement de molécules.
Oui, je suis bien convaincu, aujourd'hui, qu'il y a lieu de distinguer molécules et chimie.

mercredi 1 novembre 2017

Si l'on venait à manquer de beurre

Ceux qui suivent trop ces "informations" qui sont souvent de la désinformation ou de l'intoxication intellectuelle s'émeuvent : il y aurait une pénurie de beurre.

De fait, hier, alors que j'avais acheté sans difficulté du beurre dans un supermarché, j'ai été interrogé par un journaliste qui préparait un article sur le thème : "puisqu'il y a une pénurie de beurre, comment s'en passer"... interview qui est arrivé alors que je sortais du tournage d'une émission de télévision, pour une chaîne nationale, sur le thème de la margarine.

Décidément, il faut expliquer les choses.



De quoi le beurre est-il fait ? 

Commençons par expliquer que les corps gras sont majoritairement faits de composés nommés des "triglycérides". Pas (ou très peu) d'acides gras, dans cette affaire, contrairement à ce que des publicités fautives nous répètent de façon lancinante ! Toutes les molécules de triglycérides sont comme de minuscules peignes à trois dents, avec le "manche" qui ressemble à la molécule de glycérol (la glycérine), dont la colonne vertébrale est faite de trois atomes de carbone, et avec des dents qui ressemblent aux molécules d'acides gras, qui sont, elles, de longues chaînes d'atomes de carbone, liées à des atomes d'hydrogène, et, avec un groupe acide à une extrémité.
En réalité, les molécules de triglycérides sont donc composées d'un résidu de glycérol et de trois résidus d'acides gras.

Chaque triglycéride a un point de fusion très précis (par exemple 34 degrés, ou - 5 degrés, ou 47 degrés...), mais les mélanges de triglycérides, eux, sont des solides à températures suffisamment basse, qui fondent progressivement à mesure que la température augmente.
Et c'est ainsi que la matière grasse laitière, qu'elle soit dans le lait ou dans la crème ou encore dans le beurre ou le fromage, commence à fondre à partir de  - 10 degrés, et finit de fondre à  55 degrés. Pour ce mélange particulier de triglycérides qu'est le beurre de cacao, la fonte commence à 30 degrés, et s'achève à 37 degrés.

Bien sûr, à part dans les huiles, il est rare que les matières grasses ne comportent que des triglycérides : par exemple, le beurre peut comporter de l'eau, avec toutefois une réglementation qui limite cette quantité à 16 pour cent (sans quoi des commerçants indélicats mettraient plein d'eau dans le beurre, et vendraient de l'eau au prix du beurre).


Le bon beurre

Le beurre, pour y revenir ? Il est préparé à partir du lait, lequel est une "émulsion", c'est-à-dire une dispersion de gouttelettes de matière grasse dans de l'eau. Il y a 36 grammes de matière grasse par litre (environ un kilogramme) de lait.
Quand on laisse le lait reposer, les gouttelettes de matière grasse viennent flotter à la surface, formant une émulsion plus concentrée : c'est la crème, dont, évidemment, la teneur en matière grasse dépend du temps de repos du lait.

Puis, quand on baratte la crème, c'est-à-dire quand on la brasse énergiquement, on obtient une masse grasse dont un liquide aqueux se sépare : c'est le beurre, qui, comme dit plus haut, a une teneur en eau réglementée.

Le beurre est cher ? C'est légitime : il faut quand même avoir élevé des vaches, avoir trait ces dernières, et avoir produit le beurre.
Bien plus facile que presser des graines de tournesol  pour faire de l'huile ! Et, de fait, la question du prix du beurre se pose depuis longtemps, et notamment depuis l'époque du chimiste Michel Eugène Chevreul, qui encouragea le chimiste Hyppolite Mege à produire une copie du  beurre qui fut nommée margarine.
Initialement, dans le premier brevet de Mège, en 1869, la recette de la margarine utilisait de la graisse de boeuf clarifiée, de la mamelle de vache broyée, un peu de lait, du bicarbonate de sodium et un colorant jaune.
Mège, qui prit ultérieurement le nom de Mège-Mouriès pour se distinguer d'homonymes, prétendait avoir fait un produit "supérieur"... mais je n'échange pas du bon beurre contre de la margarine ! En effet, la margarine n'as pas de goût (sauf si l'on a ajouté des composés odorants (que la réglementation nomme fautivement des "arômes", alors qu'il faudrait parler de compositions ou extraits odoriférants), et c'est juste de la graisse utilisable pour des usages techniques... qui oublient que la cuisine est d'abord une activité artistique, qui veut faire bon. Si c'est pour manger des nutriments, ce n'est pas la peine de cuisiner.



Pallier une pénurie de beurre

Mais laissons cette cuisine sans goût aux ignorants, et revenons à la margarine pour en dire qu'elle fut introduite afin de pallier un coût élevé du beurre. Mège-Mouriès vendit son brevet à la société Margarine Unie (qui deviendra Unilever), qui en a fait ... son "beurre".
D'ailleurs, comme la graisse de boeuf est plus coûteuse que l'huile, la société Unilever a rapidement appris à remplacer la graisse de boeuf par de l'huile : comme les comportements de fonte d'une émulsion d'huile ne permettent pas de faire des pâtes à tarte, l'industrie a "hydrogéné" les triglycérides, leur permettant de fondre à température supérieure.
On observera qu'il aurait été loyal de nommer différemment les émulsions aux matières grasses hydrogénées, afin de bien éclairer le public (la loi sur le commerce des denrées alimentaires de 1905 revendique que les produits vendus soit loyaux, sains et marchands). D'autre part, on n'aura pas lieu de craindre les émulsions faites de graisses hydrogénées, surtout depuis les progrès de l'industrie alimentaire dans ce domaine, il y a plus de deux décennies.


Autrement dit, voici au moins deux idées pour pallier une éventuelle absence de beurre : utiliser de la graisse de boeuf (clarifiée), ou utiliser de la margarine, pour les usages de type pâtisserie. Pour les cuissons ou d'autres usages tels que la confection d'émulsions (sauce mayonnaise, par exemple), pas besoin de beurre : l'huile suffit.


 Mais la vraie question est celle du goût : une huile neutre est sans intérêt, autre peut-être que de faciliter économiquement des cuissons où le goût est apporté par ailleurs. Mais une huile sans goût ne vaut pas une huile avec goût, pas plus qu'une margarine n'aura le goût de beurre.
Bien sûr, on peut aussi imaginer de donner du goût à une margarine, en y ajoutant des composés sapides ou odorants variés, tel le diacétyle, ou bien le 1-cis-hexén-3-ol, ou des "arômes beurre" (qu'on devrait plus justement, plus honnêtement, nommer des compositions odorantes reproduisant l'odeur du beurre). Car le beurre n'est pas le nec plus ultra : on peut sans doute faire "mieux" (en définissant préalablement ce que le "mieux" signifie, et en n'oubliant pas qu'est bon ce que j'aime personnellement).







Terminons en signalant que le public est un peu girouette, à l'aune de l'histoire : quand le beurre se fit cher, du temps de Mège, la chimie qui produisit la margarine fut portée aux nues. De même, la chimie triompha quand le blocus continental provoqua une pénurie de sucre (de canne, importé des colonies), et que l'on découvrit comment faire du sucre de betteraves.
Je parie qu'un certain  public qui jette l'anathème à la chimie aujourd'hui en dira du bien demain, quand le prix du beurre aura augmenté !

















 Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)  

mardi 31 octobre 2017

A propos de pâtes à tarte

Ce matin, un ami m'interroge :

xxx se plaint régulièrement de ne pas pouvoir faire ou rattraper ses pates brisées, même en suivant scrupuleusement (dit-elle) des recettes  : 
1) soit la pâte ne s'étale pas bien, se casse à l'étalement
2) soit elle s'effrite (sable ?) complètement après cuisson
De sorte qu'un rappel de la physicochimie des pâtes sablées/brisées/feuilletées serait fort utile!

Pour faire simple, il faut d'abord distinguer les pâtes faites de nombreuses couches très minces, que nous dirons "feuilletées", et les pâtes d'un seul tenant, plus ou moins friables, parmi lesquelles nous devrons distinguer les pâtes brisées et les pâtes sablées.


Commençons pas les pâtes feuilletées

Au début, il y a la pâte, que  l'on fait simplement en malaxant de la farine avec de l'eau. A noter que cette farine peut venir de blé, de riz, de maïs, mais aussi de châtaigne, de blé noir, de lentilles, et de bien d'autres produits qui contiennent de l'amidon.
Quand la farine est de blé, le malaxage produit un "réseau", comme un échaffaudage volumineux qui emprisonnerait les grains d'amidon. Ce que l'on peut voir en faisant d'abord une pâte bien travaillée, puis en malaxant doucement cette dernière dans de l'eau  a: on voit une poudre blanche se séparer d'une sorte de "filet" mou. Il y a deux siècles, on a nommé respectivement amidon et gluten ces matières.
Mais revenons à notre pâton : quand on l'étale, le filet de gluten s'étire, et l'on peut, s'il est bien établi (parce qu'on l'aura travaillé beaucoup), étirer la pâte en une couche très mince, qui couvre la table de la cuisine. Puis, en déposant des pommes (par exemple) et en roulant la pâte autour comme on fait d'une momie, on obtient un grand nombre de couches de pâte, qui vont devenir croustillantes à la cuisson : c'est la recette du strudel, de la croustade ou du pastis gascon, les ancêtres de la pâte feuilletée.
Pour la pâte feuilletée, on obtient un résultat supérieur avec bien moins de travail : on enferme du beurre dans de la pâte, puis on étend et on plie en trois, on étend et on plie en trois, six fois de suite, ce qui conduit à 730 couches de pâte séparées par 729 couches de beurre. Ainsi, à la cuisson, on a immédiatement 730 couches croustillantes très minces : c'est la pâte feuilletée.


Puis les pâtes brisées et sablées

Si l'on se contente de faire la masse de pâte d'un seul tenant, alors il faut penser qu'il y a deux cas extrêmes :
- soit on disperse les grains de farine dans le beurre
- soit on disperse le beurre dans le réseau de gluten qu'on aura obtenue en malaxant d'abord la farine avec l'eau.
Dans le premier cas, on a quelque chose de sableux, de friable : les grains de farine sont "cimentés" par le beurre, qui font à la cuisson et reprend au refoidissement... à condition qu'il ne fasse pas trop chaud. C'est la pâte sablée.
Dans le deuxième cas, on a quelque chose de dur, qui se tient, mais qui manque de friabilité. C'est la pâte brisée.

D'où la réponse aux problèmes de notre amie  : si la pâte est friable, ou bien si la pâte s'effrite après cuisson c'est que le réseau de gluten n'est pas suffisant, ou bien que le beurre n'est pas assez dur. Cela peut découler soit d'une insuffisance de gluten dans la farine, soit d'une température excessive, soit d'un travail insuffisant de la pâte (je rappelle qu'il faut "fraser" la pâte, à savoir la presser contre le plan de travail à l'aide de la paume de la main).


Quant à inventer de nouvelles pâtes à partir de ces connaissances, c'est évidemment facile... mais je vous renvoie à mon livre "Mon histoire de cuisine", aux éditions Belin.




















 Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)  

lundi 23 octobre 2017

La distillation ? Ne pas tout confondre

On parle souvent de distillation : "distillation du marc", "distillation des huiles essentielles"... Mais, bien souvent, les idées sont floues, et nos interlocuteurs confondent la distillation avec l'entraînement à la vapeur d'eau, ou la rectification et la simple séparation par évaporation.
Bref, regardons-y de plus près.

Une définition, tout d'abord : la distillation est un procédé de traitement de mélanges liquides en vue de séparer des composés dont les températures de vaporisation sont différentes. Sous l'effet de la chaleur ou d'une faible pression, les substances se vaporisent plus ou moins successivement, et les vapeurs sont recondensées.
Je ne vais pas faire l'histoire de la distillation, car ce serait un immense chapitre. En revanche, je me propose de citer diverses applications, associées à des techniques différents.

Ainsi, quand on chauffe de l'eau de mer, la vapeur d'eau (que l'on peut recondenser ensuite) est parfaitement exempte de sel. On récupère de l'eau pure, comme quand l'eau de mer s'évapore, puis nous revient sous la forme de pluie.

D'autre part, il y a cette technique qui consiste à placer des fleurs odorantes dans de l'eau que l'on chauffe : cette fois, c'est de l'entraînement à la vapeur d'eau. En effet, quand les fleurs libèrent des composés odorants, ces derniers quittent l'eau, où ils sont peu solubles. La formation de vapeur, par chauffage, fait s'élever de la vapeur d'eau, qui entraîne les molécules odorantes évaporées, lesquelles sont ensuite remplacées. Si l'on refroidit les vapeur chargées de molécules odorantes, alors on récupère de l'eau à la surface de laquelle flottent une "huile essentielle" faite des composés odorants à l'état quasi pur.

Cette technique diffère de la distillation du vin, qui consister à chauffer une solution contenant de l'eau et de l'éthanol (l'alcool produit par fermentation des sucres) : les vapeurs sont enrichies en éthanol, de sorte que le refroidissement des vapeurs conduit à une solution hydro-alcoolique plus chargée en alcool.
Mais il y a de nombreuses variantes. Par exemple, quand on distille dans un récipient clos où l'on fait le vide, on peut provoquer l'évaporation à des températures inférieures de celles de la pression atmosphérique. On peut même voir bouillir de l'eau à la température ambiante ! Cette technique permet d'éviter la dégradation des composés fragiles des mélanges.

Puis il y a des différences entre des distillations discontinues, où l'on charge le système à distiller avant de procéder à la distillation, et des distillations continues, où l'on peut alimenter l'appareil régulièrement en cours de distillation.

Au fait, il faut quand même signaler que les cornues, avec leur bec allongé, sont aujourd'hui largement remplacés. Pour distiller les marcs, par exemple, on utilise des systèmes en cuivre avec des tubulures qui favorisent le refroidissement des vapeurs. Mais, en laboratoire, les systèmes sont bien plus efficaces, avec des colonnes de verres qui sont refroides par l'extérieur par de l'eau. Ainsi, afin de ne pas répéter les opérations d'évaporation-condensation plusieurs fois sur les distillats, on utilise des colonnes à rectification.
 C'est ainsi que se raffine le pétrole : après vaporisation, il est envoyé dans une tour de distillation atmosphérique, où chaque plateau correspond à une étape du fractionnement et donne un produit spécifique : les produits légers sont recueillis dans la partie supérieure de la tour (butane et propane, essence légère ou naphta), les produits moyens (essence lourde, kérosène et gazole) sont récupérés en soutirage latéral, et le résidu atmosphérique est recueilli au fond de la tour.

Je m'arrête là : il y a des traités entiers de la distillation !
















Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)  

samedi 14 octobre 2017

Questions de confiture

Ce matin, des questions, à propos de confiture :



Est il vrai que les pectines sont détruites à partir d une certaine température ?
Le fait d arrêter la cuisson puis de la reprendre puis de l arrêter etc permet il d épaissir la confiture mieux que de simplement poursuivre la cuisson
Bref en 1 mot comme en 100 comment cuire la confiture
2) est il vrai qu une fois mise en pot il faut abaisser la température brutalement en trempant le pot dans de l eau froide sous prétexte que la température monte dans le pot et inactive la pectine ?


Commençons par exposer les grands principes. 

La confiture, c'est un gel, que l'on obtient en cuisant des fruits avec du sucre. Parfois, on ajoute de l'eau, mais c'est inutile si l'on chauffe après avoir laissé les fruits macérer un peu dans le sucre, de sorte que de l'eau des fruits soit sortie, ce qui empêchera le sucre de caraméliser au fond de la casserole.

Le gel qui se formera quand la confiture refroidira nécessite trois conditions :
1. une quantité suffisante de sucre (entre 45 et 65 pour cent)
2. une quantité suffisante de "pectines" qui auront été extraites des fruits, lors de la cuisson
3. une acidité suffisante


Pour la première condition, ce n'est pas difficile : il suffit de savoir que les fruits sont majoritairement faits d'eau, de sorte qu'il suffit de peser.

Pour la deuxième condition, il faut expliquer que les fruits sont faits de "cellules", petits sacs vivants qui sont limités par une "paroi cellulaire", faite de molécules de cellulose (le résidu solide que l'on obtient quand on centrifuge des fruits, des légumes, la pulpe des jus d'orange...) et de molécules de pectine : que l'on imagine des fils qui se dispersent dans le liquide de la confiture, et qui, au refroidissement, iront s'assembler en une immense toile d'araignée (dans toute la configure), ce qui tiendra l'eau et les morceaux de fruit.

Pour la troisième condition, il faut savoir que le fruits sont parfois TRES acides, mais que cela n'apparaît pas en bouche, grâce au sucre. L'acidité réelle se mesure classiquement par un nombre nommé pH sur une échelle de 0 à 14 : entre 0 et 7, c'est acide, et entre 7 et 14, c'est basique. Par exemple, des framboises même mûres peuvent avoir un pH de 2 !


Ca y est, nous pouvons maintenant répondre aux questions

Les pectines sont-elles détruites lors de la cuisson ? Oui, en même temps que les pectines sont extraites des fruits, elles sont progressivement dégradées : il y a donc un bon équilibre à obtenir entre le temps nécessaire pour extraire les pectines, et leur dégradation, qui ne permettrait plus la prise en gel. Et c'est pour cette raison qu'il est utile de faire macérer les fruits avec le sucre avant de cuire : on prépare l'extraction.

Arrêter et reprendre la cuisson ? Bof, je ne crois pas que cela serve à quoi que ce soit. A cela prêt que l'on peut dégrader les structures, dans une précuisson, puis laisser macérer. Mais je crois vraiment que c'est du détail, par rapport aux grands principes énoncés plus haut.

Comment cuire la confiture ? En chauffant... assez longtemps. D'ailleurs, une idée : pourquoi ne pas cuire d'abord une partie des fruits, assez longtemps (par exemple 20 minutes), avant d'ajouter une autre partie des fruits et ne cuire que 5 minutes ?

Pour la mise en pots : refroidir rapidement les confitures est risqué, car un choc thermique risque de briser le verre des pots ! Quant à la température, elle ne sera pas supérieure, dans le pot, à ce qu'elle était dans la bassine. Donc laissons nos confitures tranquilles, et focalisons-nous plutôt sur des questions telles que : faut-il fermer les pots quand ils sont chauds, ou devons-nous attendre qu'ils aient refroidis ? Ou bien : faut-il fermer tout de suite et retourner les pots pour qu'ils refroidissent la tête en bas ? Ou bien encore est-il utile de mettre de la cire ? Ou un disque de papier trempé dans l'alcool ?

Réponses une autre fois.












Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)  

mercredi 11 octobre 2017

Quels composés pour la cuisine note à note ?

La cuisine note à note est cette forme de cuisine qui s'apparente absolument à la musique de synthèse : on construit les plats à partir des briques élémentaires que sont les composés.

Des composés ? 

Il faut sans doute définir d'abord ce qu'est un composé, mais les définitions générales étant souvent difficiles à comprendre, partons d'un exemple :
L'eau est un composé.
Oui, l'eau est un composé, car un verre d'eau, c'est un ensemble d'objets tous identiques. Ces objets sont nommés des molécules.
Chaque molécule est formée d'atomes, et, dans une molécule d'eau, il y a deux atomes d'une sorte (l'hydrogène), et un atome d'une autre sorte (l'oxygène).
D'autres composés : le saccharose, couramment (et abusivement) nommé sucre de table. Ou l'éthanol, qui est l'alcool des eaux de vie et des vins. Ou encore les triglycérides, qui constituent l'huile. Ou encore les acides aminés. Ou encore...

A noter que tous les ingrédients culinaires classiques sont faits de composés. Par exemple, une tomate, c'est 95 pour cent de ce composé qu'est l'eau, plus beaucoup de ces composés que sont les celluloses (le résidu solide obtenu quand on presse un fruit) ou les pectines (qui font prendre les confitures). Mais certains ingrédients contiennent des "triglycérides" (huiles, graisses), et il suffit de regarder sur les paquets alimentaires pour voir des listes : glucides, lipides protides, vitamines, etc.
 
Et pour construire les mets ?

Pour la construction de plats note à note, il est sans doute utile de savoir qu'un plat a (dans le désordre)  :
- une consistance
- une forme
- une couleur
- un nom
- une odeur
- une saveur
- un effet "trigéminal"
- des propriétés nutritives
- etc.

De ce fait, la liste des composés utilisable doit être parallèle :

Pour la consistance, par exemple :
eau
celluloses
pectines
gélatine
protéines
lipides (principalement triglycérides)
polysaccharides gélifiants ou épaississants (gomme guar, caroube, xanthane, carraghénanes, alginate de sodium, agar-agar...), amidons variés

Pour la couleur :
caroténoides
chlorophylles
composés phénoliques
bétalaïnes
et tous les autres colorants acceptés dans la liste des additifs (parce que l'on s'est longuement assuré de leur non toxicité)

Pour les saveurs :
acides variés : citrique, acétique, malique, succinique, ascorbique (vitamine C), tartrique, phosphoriques (et leurs sels)
sucres variés : glucose, fructose, saccharose, galactose, lactose, maltose, etc.
composés édulcorants
sels minéraux : les ions les plus courants (que l'on trouve d'ailleurs dans l'eau) sont sodium, potassium, chlorure, nitrate, phosphate, calcium (très important car il a une saveur particulière)...
acides aminés : glutamate de sodium, et tous les autres

Pour les odeurs :
On connaît environ 7000 composés odorants du monde naturel, et l'on estime à 10 000 le nombre total. Il n'y a que l'embarras du choix.

Pour les composés à action trigéminale :

menthol, capsaïcine, pipérine... et plein d'autres


Merci d'envoyer des propositions pour compléter cette liste à :
icmg@agroparistech.fr

jeudi 5 octobre 2017

Ce que je développe

Dans mon prochain livre, il y a un petit extrait de l'Ami Fritz, d'Erckman et Chatrian :


Est-il rien de plus agréable en ce bas monde que de s’asseoir, avec trois ou quatre vieux camarades, devant une table bien servie, dans l’antique salle à manger de ses pères ; et là, de s’attacher gravement la serviette au menton, de plonger la cuiller dans une bonne soupe aux queues d’écrevisses, qui embaume, et de passer les assiettes en disant : « Goûtez-moi cela, mes amis, vous m’en donnerez des nouvelles. »

Qu’on est heureux de commencer un pareil dîner, les fenêtres ouvertes sur le ciel bleu du printemps ou de l’automne.

Et quand vous prenez le grand couteau à manche de corne pour découper des tranches de gigot fondantes, ou la truelle d’argent pour diviser tout du long avec délicatesse un magnifique brochet à la gelée, la gueule pleine de persil, avec quel air de recueillement les autres vous regardent !

Puis quand vous saisissez derrière votre chaise, dans la cuvette, une autre bouteille et que vous la placez entre vos genoux pour en tirer le bouchon sans secousse, comme ils rient en pensant : « Qu’est-ce qui va venir à cette heure ? »

Ah ! je vous le dis, c’est un grand plaisir de traiter ses vieux amis, et de penser : « Cela recommencera de la sorte d’année en année, jusqu’à ce que le Seigneur Dieu nous fasse signe de venir, et que nous dormions en paix dans le sein d’Abraham. »

Et quand, à la cinquième ou sixième bouteille, les figures s’animent, quand les uns éprouvent tout à coup le besoin de louer le Seigneur, qui nous comble de ses bénédictions, et les autres de célébrer la gloire de la vieille Allemagne, ses jambons, ses pâtés et ses nobles vins ; quand Kasper s’attendrit et demande pardon à Michel de lui avoir gardé rancune, sans que Michel s’en soit jamais douté ; et que Christian, la tête penchée sur l’épaule, rit tout bas en songeant au père Bischoff, mort depuis dix ans, et qu’il avait oublié ; quand d’autres parlent de chasse, d’autres de musique, tous ensemble, en s’arrêtant de temps en temps pour éclater de rire : c’est alors que la chose devient tout à fait réjouissante, et que le paradis, le vrai paradis, est sur la terre.



Mais, bien sûr, ce n'est qu'une sorte d'illustration de l'esprit qui règne, et je ne m'inspire pas du livre ancien. Je partage seulement des plaisirs, et je propose d'en faire une règle de vie. Comme aussi l'avait fait Brillat-Savarin, et d'autres. 

Quel four pour la cuisson à basse température ?

Le message suivant m'incite à expliquer correctement les choses :

Je suis confuse de vous déranger en vous posant une question simple sur la cuisson à basse température mais je ne voudrais pas rester dans le mystère ou le flou.
La cuisson à basse température nécessite-t-elle un four particulier ou peut-on utiliser un four normal qui permet une température basse constante de 50° ou plus ? 
En fait c’est le mot de basse température qui m’interroge car tous les fours courants peuvent cuire à partir de 50° et plus donc à basse température.
Un four  pour la cuisson à basse température aurait-il quelque chose de différent, un mécanisme différent d’un four normal ?
Et une cuisson à feu doux sur le gaz n’aurait-elle pas le même effet ? (sauf attacher ou détériorer l’ustensile si on oublie et obliger à rester à côté) 
Ce sont des précisions sémantiques et techniques qu’il serait peut-être bien d’expliquer.Je n’ai rien trouvé d’intéressant sur le net concernant cette question (pas brûlante évidemment).


Voici ma réponse :

Tout d'abord, la cuison à basse température est souvent confondue avec la cuisson sous vide à basse température, mais les termes disent assez ce dont il s'agit :
1. il y a le fait que le produit soit sous vide, dans la cuisson sous vide à basse température, alors qu'il n'est pas nécessaire qu'il le soit dans la cuisson à basse température
2. il y a la question de la "basse" température, ce qui signifie en réalité "à température inférieure à 100 °C".

Mes travaux sur la cuisson des oeufs expliquent bien ce dont il s'agit, mais je renvoie à mon livre Mon histoire de cuisine pour des détails et des développements. Ici, je me limite à signaler que l'état de cuisson (d'un oeuf, d'une viande...) dépend de la température maximale atteinte. Et, notamment pour les viandes, plus on cuit longtemps, plus :
1. on durcit la viande (question de température)
2. on donne de la tendreté en dissolvant le collagène (question de durée).

En réalité, la cuisson à basse température, avec vide ou non, est surtout utile pour faire bon usage des viandes à braiser, et il est vrai que la cuisson à basse température ne se distingue d'un braisage que par le bon contrôle de la température... mais c'est ce contrôle qui fait tout : dans le temps, on craignait comme la peste le "coup de feu" qui ruinait les braisages, rendant les viandes très dures.

Une précaution : : ne pas descendre au dessous de 60 °C, car plus bas, quand leur en donne le temps, les micro-organismes peuvent proliférer !

Pour la question particulière qui m'est posée : aucun four particulier n'est nécessaire... à condition que les températures que l'on commande soient bien celles que le four produit ! Par exemple, je me souviens de fours professionnels qui étaient à 240 °C quand on leur demandait du 180°C : très mauvais. En revanche, ces fours étaient à 96 °C quand on leur demandait du  96 °C : très bon. Pour moi, j'ai un four électrique habituel (grande surface), et il est juste à  quelques degrés près. Et mieux, il est régulier, ce qui est important, car je
Avec du gaz ? Si un four à gaz peut faire du 60 °C, ou du 65 °C, par exemple, pourquoi pas. Et il y a aussi la ressource de mettre une cocotte sur le gaz... mais il faudra ensuite être pendant des heures à côté, à allumer et éteindre pour régler la température, ce qui n'est guère pratique. C'est la raison pour laquelle, avant que nos fours modernes ne soient commercialisés, j'avais introduit les thermocirculateurs chez les cuisiniers.


 Et c'est ainsi que, aujourd'hui, mon "oeuf parfait" est sur des tables du monde entier.

lundi 2 octobre 2017

A paraître

Voici ce qu'annonce aujourd'hui l'éditeur de mon livre à sortir cette semaine :

Le terroir à toutes les  sauces

Hervé This,  l’inventeur de la gastronomie  moléculaire, met en
scène le petit théâtre  des passions culinaires dans un roman  pétillant –avec 100 recettes!


Ah,  la  cuisine  de  terroir  !
Son  «  authenticité  »,  ses  racines et ses  adorateurs  vigilants ! Mais qu’est-ce  que  le  terroir,  la  cuisine  de  terroir  ?  Derrière  le  marketing, quelle réalité aujourd’hui, à l’heure de l’industrialisation et de la mondialisation des productions agro-alimentaires ?


Hervé This, scientifique de renommée internationale, lève  le rideau sur le  petit théâtre  des  passions  culinaires  françaises  dans  ce  roman  plein  de  finesse, célébration  des  plaisirs  partagés  de  la  table.  Des  gourmands débattent  avec  fièvre et humour des  mille et une  variantes de  leurs plats préférés. «La cuisine, c’est  d’abord  du  lien  social,  ensuite  de  l’art,  et seulement   après   de   la technique», dit notre chimiste-romancier.
Ses réflexions sur le terroir valent pour toutes les régions,
et s’il nous invite à des  travaux pratiques gourmands avec 100 recettes de sa région d’origine, l’Alsace, c’est de l’universalité  de  la  cuisine  dont  il  est  question.  Ses  recettes à  lui  sont d’aujourd’hui et réinventent celles d’antan:  il rappelle  les  bases,  présente  des variantes et des trucs (avez-vous déjà cuit un  foie gras dans un lave-vaisselle... ?), dévoile  des  tours  de  main  et  les  mystères  de  la  technique,  et incite  chacun  à  expérimenter, à personnaliser. Les recettes, proclame notre enchanteur, ne sont  pas   faites   pour   être   suivies   à   la   lettre,   elles   gagnent   à   être   pensées   et  interprétées, comme on interprète des partitions en musique.

Voilà donc un  traité de joie de vivre et  de philosophie gourmande, transformé en  un  pétillant roman, qui est aussi un livre de recettes.


HERVÉ  THIS
Physico-chimiste  Inra à AgroParisTech, membre de l’Académie d’agriculture  de  France,  inventeur  de  la gastronomie  moléculaire,  de  la  cuisine moléculaire (faire des mousses au chocolat sans œuf...) et de la cuisine note à note.  Auteur  de  nombreux ouvrages,  tant  pour  les  scientifiques que  pour  les gourmands.

Un livre à paraître le 5 octobre 2017
La Nuée Bleue
En coédition avec  Place des Victoires
16 x 21 cm, 256 pages Broché, 25 €
Avec des dessins de Roland Perret
ISBN : 978-2-8099-1434-4
Diffusion: Interforum

Contact Presse: Mathilde Reumaux
03 88 15 77 27-06 81 35 63 56
mathilde.reumaux@editions-quotidien.fr
 

Sortie le 5 octobre aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un jovial traité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine)


Hervé This


Directeur de l'International Centre for Molecular Gastronomy AgroParisTech-INRA : http://www.agroparistech.fr/-Centre-international-de-.html

Directeur scientifique de la Fondation Science  & Culture Alimentaire (Académie des sciences) : http://www6.inra.fr/fondation_science_culture_alimentaire

Secrétaire de la Section Alimentation humaine de l'Académie d'agriculture de France : http://www.academie-agriculture.fr/


Groupe de Gastronomie moléculaire
Laboratoire de chimie analytique, UMR 1145 Ingénierie Procédés Aliment GENIAL
16 rue Claude Bernard, 75005 Paris.
tel : +33 1 44 08 72 90
Courriel : herve.this@agroparistech.fr ou herve.this@inra.fr

Twitter : @Herve_This ; Skype : hervethis

 Une présentation des travaux : http://www.canalc2.tv/video/13472

Site : https://sites.google.com/site/travauxdehervethis/

Blogs :
http://www.agroparistech.fr/-Le-blog-de-Herve-This-Vive-la-.html
http://hervethis.blogspot.fr/
http://gastronomie-moleculaire.blogspot.fr/
http://www.scilogs.fr/vivelaconnaissance/
http://molecular-gastronomy-international.blogspot.fr/
http://hthisnoteanote.blogspot.fr/

dimanche 1 octobre 2017

A propos de gel d'alginate

Ce matin, un étudiant en Classe préparatoire aux Concours des Ecoles d'ingénieurs m'interroge pour son TIPE, qu'il veut consacrer aux perles d'alginate.
Quoi, encore un ? Ce jeune homme ne sait pas que je reçois environ 100 emails par an pour cette même raison. Et, de ce fait, c'est si "bateau" que je l'invite absolument à trouver un "angle" : sans quoi, qu'est-ce qui prouvera qu'il n'a pas repris un TIPE fait par d'autres et mis en ligne ?

Mais, en écrivant ces mots, je crois me voir déjà plusieurs années en arrière, écrivant les mêmes mots : décidément l'Education nationale est une hydre de Lerne, à cela près que les têtes ne sont pas par dizaines, mais par million. Plus exactement, environ un million par an.

Que faire ? Continuer inlassablement, comme pour le Ragnarok (voir les billets correspondants).



samedi 30 septembre 2017

L'Alsace est le centre du Monde

Le Streusel ? Les Anglais s'en sont inspirés pour leur crumble, et les Allemands ou Autrichiens en ont fait leur Streusel.
Il s'agit d'une pâte que l'on utilise parsemée sur des fruits que l'on cuit ensuite au four, ou sur une tarte garnie,  ou encore sur une brioche comme le veut la tradition alsacienne. On peut aussi la précuire au four sur une plaque recouverte de papier sulfurisé puis l'émietter sur des desserts.

Ici elle est réalisée avec de la poudre d'amandes mais vous pouvez aussi  remplacer cette dernière par de la poudre de noisette. De même pour la cannelle, à volonté. Ajouter des petits morceaux de fruits secs ou de fruits à coque (pistache, noisette, amandes broyées) peut être intéressant dans certaisn cas.

Origine et histoire du Streusel

Le Streusel est évidemment originaire d'Alsace, et il semble s'être répandu dans le monde alemanique lors du Reischland (cession du territoire impérial d'Alsace Lorraine à l'Enpire allemand en 1871 et revenu à la France avec le traité de Versailles en 1919).
Le terme Streusel vient de l'alsacien qui signifie  répandre, éparpiller, parsemer, saupoudrer. Par extension, une brioche alsacienne ronde et moelleuse recouverte de cette pâte à streusel lui apportant un croustillant incomparable a également pris le nom de Streusel.


RECETTE
Temps de préparation : 10 mn
Temps de cuisson : 20 mn (varie selon l'utilisation)
Quantité : 8 personnes

INGREDIENTS
125 g de beurre
125 g de sucre blanc ou roux
125 g de farine
125 g de poudre d'amandes ou de noisette
1 pincée de sel
Facultatif : cannelle, fruits secs ou fruits à coque broyés

Ordre du travail
1.  Dans un cul de poule ou sur le plan de travail, mélangez la farine, le sucre , la poudre d'amandes et le sel.
2. Ajoutez de la cannelle. Eventuellement ajoutez des dés de fruits secs ou des morceaux de fruits à coque, pas trop gros.
3. Mélangez en sablant du bout des doigts pour ne pas trop chauffer le beurre, jusqu'à obtenir un ensemble homogène. Votre pâte est prête.
4. Cuire pendant une vingtaine de minutes à 180°C, sur une plaque au four ou sur une pâtisserie.

Nous y sommes !

Et voici :

Que signifie cette image apparemment anodine ? C'est le premier menu entièrement note à note du premier restaurant entièrement note à note !
Il provient du chef Andrea Camastra, du restaurant Senses, à Varsovie (Pologne).

Nous entrons donc dans une nouvelle ère, pour la cuisine !

vendredi 29 septembre 2017

Soyons prudents

En ces temps de fort développement de la cuisson à basse température, il est bon de rappeler qu'il existe une maladie nommée trichinellose,  due à un parasite (nématodes) et transmise à l’homme par la consommation de viande peu ou non cuite, essentiellement du cheval ou du sanglier dans notre pays.

Comme on le voit plus en détail sur http://solidarites-sante.gouv.fr/soins-et-maladies/maladies/maladies-infectieuses/article/trichinellose, les trichines sont des des vers ronds de petite taille  (1,5 mm pour le mâle, 2 à 3 mm pour la femelle). Les larves enkystées en forme de citron, dans des fibres musculaires,  mesurent un peu moins de 1 mm de long et sont enroulées en spirale.

Le cycle de développement des trichines ne s’effectue jamais à l’extérieur de leur hôte : les larves, ingérées sous forme de kystes, deviennent adultes en 24 à 36 heures au niveau de l’épithélium de la muqueuse de l’intestin grêle ; après la fécondation, les adultes femelles donnent naissance à de nouvelles larves (en moyenne 1 500 larves par femelle) quatre à dix jours après l’infestation. Ces larves empruntent alors la circulation sanguine ou la voie lymphatique et migrent vers les muscles striés squelettiques ; elles pénètrent dans les cellules musculaires dans lesquelles elles s’enkystent en 3 semaines ; elles peuvent y demeurer plusieurs années, les kystes pouvant même se calcifier.

Les trichines peuvent infester la quasi totalité des mammifères carnivores et omnivores, y compris certains mammifères marins, et sous toutes les latitudes. On les trouve notamment chez le cheval, le sanglier, le porc… mais aussi le lynx, le renard, l’ours, le blaireau, le putois, les oiseaux, le chien, le chat, le rat… et l’homme. Chez l’animal, leur présence est en règle générale asymptomatique. Les oiseaux carnivores ou détritivores ainsi que certains reptiles peuvent être également infestés.

La transmission du parasite à l’homme est liée à l’ingestion de viande contaminée peu ou non cuite ; en Europe, il s’agit essentiellement de viande de sanglier, de porc et de cheval. La cuisson suffisante de la viande (71° C, viande grise à cœur) est la méthode de prévention idéale. La congélation de la viande n’est pas suffisante pour éliminer tout risque de transmission de la trichinellose : notamment, on a vu des trichines d'animaux arctiques qui résistaient au grand froid. En ce qui concerne les charcuteries, seuls les produits cuits permettent une destruction des trichinelles ; la salaison et la fumaison ne sont pas des techniques assainissantes.

Au niveau collectif, la prévention repose sur le contrôle sanitaire systématique des viandes. En France, la surveillance vétérinaire par digestion artificielle chlorhydro-pepsique concerne la viande de cheval et de porc plein-air (sondage pour le porc industriel). Pour le marché de gibier sauvage, les contrôles sont obligatoires si le chasseur cède à un tiers les gibiers qu’il a lui même chassés, que se soit dans un cadre commercial ou non, à l’exception d’une cession directe du chasseur au consommateur. Dans ce dernier cas, il est très vivement recommandé aux consommateurs de demander au chasseur une attestation relative à la recherche de trichine. Pour ce qui concerne le chasseur, sa responsabilité personnelle serait engagée si la consommation de la viande fournie entraînait un dommage au consommateur ; il lui est donc très vigoureusement recommandé de faire pratiquer cette recherche.




Mais les certificats ne sont que des certificats : apprenons à bien cuire les viandes susceptibles d'être contaminées !

Ca avance!

Hier, le nouveau groupe d'étudiants en master, au Dublin Institute of Technology, a commencé ses travaux, en vue de participer au 6e Concours de cuisine note à note !
 
 

mardi 26 septembre 2017

Pommes de terre soufflées

Chers Amis
Voici enfin notre première vidéo du Musée numérique des gestes culinaires. Il montre les talents de Georges Roux, Romain Schaller et Patrick Terrien... qui nous enseignent comment faire des pommes de terre soufflées.
A noter que les prescriptions complètes, pour réaliser des pommes de terre soufflées, se trouvent dans le compte rendu du dernier séminaire de gastronomie moléculaire consacré à ce sujet, sur : http://www.agroparistech.fr/Les-seminaires-2016-2017.html


Merci et bravo à nos intervenants, vive l'Art culinaire !


PS. Je rappelle que l'on peut s'inscrire aux séminaires en écrivant à icmg@agroparistech.fr

A propos des tests des précisions culinaires

A propos du statut des lois générales

Les précisions culinaires ont cela de particulier qu'elles sont très générales : ce sont des indications sans beaucoup de nuances, qui sont censées s'appliquer très généralement. C'est téméraire, car les lois générales ne souffrent pas d'exception. Si l'on me dit que l'ajout de sel dans des blancs d'oeufs battus en neige les rend plus fermes, ou les fait mieux tenir, on comprend que l'idée soit fautive a priori : imaginons qu'on mette un kilogramme de sel pour un blanc d'oeuf, et il y aura des problèmes, et la précision culinaire sera réfutée.
Pourrait-on alors "interpréter" les précisions culinaires qui nous sont données ? Pourquoi pas, mais l'éventail des pratiques est immense, et rend cette interprétation difficile ; à ce compte, tout ou presque serait considéré comme juste. D'ailleurs, il y a dans les précisions culinaires une... imprécision qui les condamne. Considérons, par exemple, cette idée selon laquelle la moindre trace de blanc d'oeuf dans une mayonnaise l'empêcherait de monter. La moindre trace ? Quand on clarifie les oeufs, il reste toujours un peu de blanc autour du jaune, de sorte que la précision culinaire est condamnée d'avance... sans compter que l'idée n'est pas vraie.
Mais il y a plus, à savoir qu'il suffit d'un contre exemple particulier pour réfuter une loi générale. Par exemple, en maethématiques, si l'on dit que les nombres premiers (divisibles seulement par 1 et par eux-mêmes) sont en nombre fini, il suffit de construire un nombre premier plus grand que le plus grand pour réfuter l'idée. Dans certains cas, quand les précisions culinaires sont manifestement fausses, on se limitera donc à un seul contre-exemple. Notamment il a suffit d'une expérience pour réfuter la précision culinaire (dite publiquement par une inspectrice de l'Education nationale lors d'une de mes conférences au Collège de France) selon laquelle les règles féminines auraient fait tourner les mayonnaises. D'ailleurs, mêmes fausse, elle est intéressante, car elle dit quelque chose des mentalités humaines.
Non, ce qui est plus intéressant, c'est quand les précisions culinaires mettent sur la voie d'un savoir réel qui est insuffisamment caractérisé. Par exemple, à propos d'ail bleu : de nombreux cuisiniers ont déjà vu des gousses d'ail bleuir ou verdir, et ils ont énoncé des précisions culinaires pour obtenir le bleuissement. Quand j'ai testé l'introduction d'ail dans du riz chauffé avec un peu de vinaigre, ou l'immersion de gousses dans du vinaigre froid ou chaud, ou l'aspersion de gousses d'ail par de l'eau tiède (tiède  :bien imprécis), ou encore la cuisson d'un poulet farci de gousses d'ail, ou encore la cuisson de tomates séchées sur lesquelles on déposait de l'ail, je n'ai pas obtenu le bleuissement prévu, alors que j'ai bien observé le changement de couleur dans des circonstances inopinées. Manifestement, il y a des paramètres insuffisamment connus : une acidité particulière ? des sels métalliques ? une absence d'oxygène  ? une question de variété ? d'âge des gousses ?
On voit qu'il y a lieu de continuer à explorer les précisions culinaires, ce qui est une partie de l'objet de la discipline scientifique nommée "gastronomie moléculaire" (à ne pas confondre avec la "cuisine moléculaire", qui est cette forme de cuisine techniquement rénovée que font les cuisiniers modernes).

samedi 23 septembre 2017

Un autre mea culpa, à propos d'oeuf "parfait"

Oui, mille fois oui : je n'aurais pas dû nommer "oeuf parfait" l'oeuf à 65 °C, que j'ai proposé il y a quelques décennies, et qui fleurit sur les tables, dans les restaurants.
Mais il faut expliquer : tout est parti de l'oeuf dur.
J'avais exploré la couleur verte qui apparaît quand il est trop cuit.
J'avais montré comment centrer le jaune, après avoir montré que le jaune flotte dans le blanc (ce qui m'avait d'ailleurs valu des injures par des enseignants qui enseignaient le contraire... de la vérité).
J'avais compris pourquoi les protéines coagulent, par formation de ponts disulfure (et j'avais donc montré comment décuire les oeufs).
Mais...

Mais il restait à comprendre pourquoi le blanc d'oeuf trop cuit devient caoutchouteux. Et quand j'ai compris que la fermeté du blanc résultait de l'accumulation de réseaux de protéines, se formant à des températures successives, au-delà de 61 °C environ, j'ai proposé, un oeuf "parfait" comme opposé de l'oeuf dur le pire que l'on puisse faire. Je me demande si l'on ne peut trouver en ligne ces conférences où je montrais une image terrible d'oeuf dur, en analysant :
- il faut éviter que le blanc soit caoutchouteux
- il faut que le jaune soit sableux
- il faut que le jaune soit centré
- il ne faut pas d'odeur souffrée
- il ne faut pas de couleur verte
- il faut que la coquille s'enlève facilement.

Et c'est l'inverse, que j'ai nommé "oeuf parfait", en présentant l'oeuf à 65 °C, puis les oeufs à 6X °C, où X était censé désigner les nombres 1, 2, 3, 4, 5, 6, etc.
Bref, c'est toute une famille d'oeufs différents que j'ai inventée, et non pas seulement un seul oeuf, raison pour laquelle je ne me suis pas troublé quand on m'a cité les omsen tamago, par exemple.

Amusant aujourd'hui, de voir des sites, mêmes "nationaux" évoquer tous ces  points sans aucune référence à cette histoire. C'est la preuve, sans doute, que je suis tombé dans le domaine public... ce qui était l'objectif !

mardi 19 septembre 2017

Le blog inra consacré aux précisions culinaires

Jour après jour, le blog Inra des précisions culinaires se développe maintenant. De quoi s'agit-il ?

Les précisions culinaires sont tous ces trucs, astuces, tours de main, proverbes, dictons... Trop hétéroclites, de statut trop incertain. Par exemple, les "dictons" devraient être vrais, par définition, mais en cuisine, le doute technique règne, comme je l'ai montré dans mon livre Les précisions culinaires.
Et puis, ces précisions culinaires se comptent par dizaines de milliers, rien que pour la cuisine française. C'est la raison pour laquelle il s'imposait de les soumettre au jugement de tous.
Avec le blog Inra, je dépose en ligne une précision culinaire par jour, assortie de commentaires, mais, surtout, en invitant les amateurs à les tester (rigoureusement).

Le blog se trouve à l'adresse : http://blogs.inra.fr/herve_this_cuisine/

samedi 9 septembre 2017

Un point d'histoire à propos de cuisine moléculaire



On m'interroge sur la « cuisine moléculaire », qu'il s'agisse de cuisine au sens de technique ou au sens de style. Dans le premier cas, l'anglais a un mot, cooking, et dans le second, on utilisera cuisine, comme en français.
De quoi s'agit-il ?




Dans les années 1980, mon vieil ami Nicholas Kurti était déjà actif pour ce qui concerne la promotion de méthodes physiques en cuisine. Dans une conférence donnée à la Royal Institution de Londres, il avait dit (tout cela est écrit dans un article) que le transfert technologique de la chimie à la cuisine était fait, mais pas celui de la physique à la cuisine. Nicholas était spécialiste des très basses températures, des techniques du vide, du froid, et, en conséquence, il s'était demandé si l'on ne pouvait pas transférer ces techniques en cuisine.
De mon côté, alors que j'ignorais tout de ses propositions, j'avais fait une démarche analogue, mais en ce qui concerne la chimie, parce que je m'étonnais que la cuisine, qui avait les mêmes opérations que la cuisine, à savoir broyer, chauffer, etc. , utilise des ustensiles périmés et inefficaces, alors qu'il y avait dans les laboratoires de chimie de quoi faire bien mieux. Dans un article de l'Actualité chimique, j'avais considéré un catalogue de fourniture pour laboratoire de chimie, et page après page, j'avais montré comment utiliser ces appareils pourraient rénover la composante technique de la cuisine: ampoules à décanter, évaporateurs rotatifs, sondes à ultrasons, etc.
Je n'étais donc pas d'accord avec Nicholas Kurti, et la proposition que je faisais démontrait que non, le transfert de la chimie à la cuisine n'avait pas été fait. D’ailleurs, la propos ultérieure de la cuisine note à note a confirmé que ce transfert était loin d’être fait.



Bref, dans les années 1980, Nicholas et moi, alors que nous introduisions la gastronomie moléculaire, qui est une activité scientifique qui concerne les scientifiques, pas les cuisiniers, nous avions également proposé une rénovation technique de la cuisine.

Une telle rénovation passait alors par les ustensiles, principalement, et l'on voyait manifestement la possibilité pour les cuisiniers de cuisinier différemment, d'un point de vue technique. Notre activité a conduit des cuisiniers de plus en plus nombreux à utiliser des techniques modernes, et, en 1999, très précisément lors d'une réunion à l'Ecole supérieure de la cuisine française, de la chambre de Commerce de paris, au Centre Jean Ferrandi, alors que nous étions avec les partenaires du programme européen Innicon, lequel était centré sur les applications techniques de la gastronomie moléculaire, le cuisinier anglais Heston Blumenthal déclara à une télévision qu'il faisait de la gastronomie moléculaire... et j'intervins aussitôt en disant que non, qu'il n’était pas scientifique, qu'il ne faisait pas de gastronomie moléculaire. Dans l'urgence de l'interview, j'eus le sentiment qu'il fallait donner un nom pour cette activité des cuisiniers qui s'inspiraient de la gastronomie moléculaire, et j'eus l'idée, sans doute mauvaise, de proposer « cuisine moléculaire ».

Ultérieurement, j'ai compris que ce nom était mal choisi, parce que le public fait mal la différence entre la gastronome et la cuisine. Mais il était mal choisi aussi parce qu'il y avait trop de proximité entre « gastronomie moléculaire » et « cuisine moléculaire » : ce fut une possibilité de confusion.
Enfin ce nom était mal choisi du point de vue de la langue, car stricto sensu, l’expression est soit tautologique soit fausse. Les cuisiniers qui utilisent les nouvelles techniques n'ont pas d'action moléculaire au sens des chimistes, et c'est seulement l'usage de nouveaux outils qui était concerné.
D'ailleurs, il y eut bien quelques détracteurs idiots pour ironiser sur le fait que l'on irait bientôt proposer de la cuisine atomique, oubliant que « cuisine moléculaire » est une expression, qu'il ne faut pas prendre à la lettre.
Non, la cuisine moléculaire est une expression à prendre en totalité, et dont la définition est « cuisiner avec des ustensiles « modernes » ». Là encore, les guillemets autour de  « moderne » signalent une difficulté : ce qui était moderne il y a trois siècle ne l'est évidemment plus aujourd'hui, et, d'ailleurs, l'histoire de la cuisine montre que l'on a utilisé plusieurs fois l'expression « cuisine moderne ».


Mais on ne refait pas l'histoire. La cuisine moléculaire, c'est donc cette forme de cuisine, proposée dans les années 1980, qui consiste à utiliser des ustensiles venus des laboratoires de chimie. Et si la révolution technique n'est pas terminé, elle a considérablement avancé. Au tout début, je me souviens que c'était un fait d'arme, pour les cuisiniers, que d'aller acheter un thermocirculateur dans les catalogues de matériels de chimistes, pour pratiquer la cuisson à basse température. Je me souviens avec émotion, et surtout avec joie, les essais des premiers cuisiniers avec les évaporateurs rotatifs. Pour d'autres ustensiles, je n'ai pas (encore) eu le même succès. Par exemple, je n'ai pas réussi à faire utiliser les sondes à ultrasons pour la confection des émulsions; je n'ai pas réussi à imposer les systèmes de filtration modernes pour la clarification des bouillons… Mais on a déjà beaucoup progressé, et je ne doute pas que l'on continuera.

Voilà pour la cuisine moléculaire, au sens de molecular cooking, la technique. Passons maintenant à la cuisine moléculaire, dite en anglais molecular cuisine, expression qui désigne un style de cuisine. Là, je dois avouer qu'il y a eu quelque chose d'imprévu : je n'imaginais pas que le développement de la cuisine moléculaire au sens de la technique conduirait à une style de cuisine reconnaissable, parce que la technique permet de produire différemment. Par exemple, les siphons font des mousses reconnaissables ; par exemple l'emploi d'azote liquide permet de faire des poudres d'huile ; par exemple, les cuisons basse température font des viandes reconnaissables.

Bref l'introduction de nouvelles techniques a conduit des cuisiniers inventifs à produire des éléments de plats que l'on a progressivement retrouvé dans de nombreux restaurants du monde.
Dans la liste précédente, je n'ai pas évoqué les perles d'alginates et d'autres gels, ce qui me conduit à évoquer cet épisode étonnant de 1984. J'avais proposé à une association professionnelles de chefs français d'utiliser ces produits que l'industrie utilisait déjà parfois: agar-agar, xanthane caroube, alginates... Je me souviens très bien de ma déception quand on m'a répondu un « non » catégorique, en me disant que cela allait empoisonner les clients. En l'occurrence, pourquoi la gélatine aurait-elle été utilisé plutôt que ces gélifiants ? J'ai continué à proposer cet usage, et il s'est imposé, à cela près que je viens d'apprendre qu'une grande institution culinaire française venait d’interdire les siphons et l'agar-agar dans un concours qu'elle organise. Mais pourquoi, alors, n'interdirions nous pas les casseroles et les fourchettes ? Ou la gélatine et les œufs ? Il y a là une position réactionnaire, et je crois que nos jeunes cuisiniers méritent plus d'ouverture d'esprit de la part de leurs aînés un peu irresponsables

Mais voilà, il y a donc un style de cuisine, qui s'est introduit, tout comme s'était introduit la nouvelle cuisine dans les années, en 1970, un courant qui faisait suite à la cuisine bourgeoise, qui faisait suite à la cuisine classique, etc.
En français donc, l'expression « cuisine moléculaire » recouvre deux entités distinctes, alors qu'en anglais, pour ceux qui manient les mots subtilement, il y a deux expression différentes pour deux réalités différents.



Pourquoi toutes ces explications ? Parce que l'on me les demande, mais aussi parce que je ne cesse de voir, sur internet, des journalistes de langue anglaise qui confondent tout : la gastronomie moléculaire et la cuisine moléculaire, qu'il s'agisse de technique ou de style. Évidemment le monde est le monde, et l'on serait Don Quichotte à vouloir le changer, mais il n'est pas proposer des éclaircissements, des explications, car il y aura bien quelques esprits attentifs et intelligents qui prendront l’information au vol et la feront peut être rayonner.

De toute façon aujourd'hui, ces histoires de cuisine moléculaire sont très largement dépassées par la cuisine note à note. J'ajoute immédiatement que, cette fois, il y a le risque que des individus un peu hâtifs et imprécis ne disent que la gastronomie moléculaire est dépassée. Elle ne l'est pas, car c'est une activité scientifique qui de développe dans le monde entier, avec la création périodique de nouveaux laboratoires.
Non, ce qui est dépassé, c'est la cuisine moléculaire : la rénovation technique est proposée depuis longtemps, elle est en partie faite, et il est largement temps de passer à autre chose, à savoir la cuisine note à note.

Obscurantisme académique


Je viens d'apprendre que les organisateurs d'un grand concours culinaire (français) avaient interdit aux candidats d'utiliser siphon et agar-agar. Pourquoi ?

Parce que tous les candidats utiliseraient ces deux éléments. Avec les siphons, ils feraient tous des mousses, et avec l'agar-agar, ils feraient tous des gels.
Pourtant, ne suffit-il pas d'un fouet, pour faire une mousse ? Va-t-on interdire les fouets ? Quand à l'agar-agar, c'est un gélifiant : va-t-on interdire la gélatine, le blanc d'oeuf, le jaune d'oeuf, la viande ou le poisson broyés ?
Surtout, si le siphon est plus efficace qu'un fouet, va-t-on forcer les candidats à avancer avec un boulet au pied ?

Je crains qu'il n'y ait de l'obscurantisme, dans cette affaire : je crains que nos vieux membres des jurys ne fassent ces interdictions parce qu'ils ignorent tout des siphons ou de l'agar-agar. Réactionnaires ?  Jaloux ?
Et puis, au fond, imaginons que tous les candidats fassent des mousses et des gels d'agar-agar. Cela serait-il mal ? Après tout, tous les cuisiniers cuisinent de la viande, ou des légumes, font des sauces, etc. et personne n'y voit à redire dans cette homogénéité !
Enfin, je propose que ce soit à l'oeuvre que l'on reconnait l'ouvrier : si les réalisations sont médiocres, on peut même ne pas décerner de prix... mais je propose quand même que nos amis des jurys affichent des critères clairs. 
Enfin, si l'art (culinaire) moderne passe par les mousses et les gels, c'est la preuve que nos jurys sont dépassés de ne pas le reconnaître.


Un dernier mot : on sait que je cherche à promouvoir la cuisine note à note, car la cuisine moléculaire est en réalité déjà ancienne.
Pourquoi nos académies ne sont-elles pas motrices, au lieu d'être réactionnaires ? 
Pourquoi ne proposent-elles pas, au lieu d'interdire siphons et agar, d'utiliser très positivement des composés de la cuisine note à note ?
Je crois qu'il y a de la "responsabilité" à avoir, de la part de nos institutions : elles doivent favoriser l'avancement de l'art culinaire, pas le retarder... sans quoi les jeunes cuisiniers considéreront que ces institutions ne sont que des assemblées de vieillard, pas représentatives de leur génération.
Bref, de telles interdictions sont des condamnations à mort obscurantistes d'institutions vieillissantes, moribondes.



Notre jeunesse mérite mieux !

mardi 5 septembre 2017

Les nouveautés de la cuisine note à note


En discutant avec des chefs qui testent la cuisine note à note, j'apprends qu'ils sont épatés de pouvoir produire des goûts dans des contextes nouveaux. Par exemple un goût de poulet rôti sur une consistance parfaitement tendre, ou, au contraire, très craquante.
Oui, c'est là un des intérêts de la cuisine note à note : on peut faire des goûts classiques qui ne sont pas dans le contexte classique
Mais il y a aussi la possibilité de faire des goûts classiques dans des contextes classiques qui ne sont pas les contextes habituels. Par exemple un consistance de pomme, avec un goût de saucisson (on voit que je ne cherche pas à voler le travail des cuisiniers).
Ou, encore, de faire des goûts pas classiques dans des contextes classiques. Par exemple, les composés odorants purs sont souvent "étranges", au sens qu'ils rappellent quelque chose, mais que l'on ne sait pas toujours identificer ce dont il s'agit.
Et puis, pour en finir très systématiquement, on peut aussi avoir des goûts nouveaux dans des contextes nouveaux !

Bref, on peut tout faire ! Qui a dit que l'innovation était quelque chose de difficile ?

samedi 2 septembre 2017

Interdisons la dénomination "lait végétal"

Ce matin, je reçois un message très amical d'un lecteur de cette merveilleuse revue qu'est Pour la Science, et j'y réponds ici sans tarder, parce qu'il en va en réalité de la loyauté des échanges commerciaux, et donc de notre cohésion sociale : petites causes, grands effets.

D'abord, la question, que je transforme à peine :

Ayant essayé de réaliser une crème pâtissière (pour une tare aux fraises) avec un lait végétal, dans un souci de ne pas utiliser de produit d’origine animale, j'ai obtenu une fort bonne tarte, pas du tout solide.
Je me questionne actuellement sur le remplacement de lait de barratte (ou « babeurre ») par un lait végétal.
Pensez-vous que ces utilisations aient quelque chance de réussite ? Y a t-il une logique à rajouter ou retrancher quelque chose dans les ingrédients qui permette d’obtenir un produit comparable à celui qu’on obtiendrait avec du lait animal ?


La première chose qui me fait tressaillir est cette dénomination "lait végétal". Elle m'alerte, parce que, récemment, des parents ont fait mourir des enfants en remplaçant le lait par des préparations végétales dont la dénomination "lait végétal" leur a fait croire que le remplacement était possible. Il faut dire, redire, que la terminologie "lait végétal" est condamnée par la réglementation (http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2013:347:0671:0854:FR:PDF). Et, contrairement à certains qui prétendent que les autorités ont cédé devant les lobbys du lait, je crois que c'est une bonne chose, eu égard à la loi sur le commerce des produits alimentaires de 1905 (amendée) : les produits alimentaires faisant l'objet de commerce doivent être sains, loyaux, marchands.
Loyal, cela signifie que l'on ne vend pas du cheval quand on annonce du boeuf, et qu'il doit y avoir le moins d’ambiguïtés possible, sans quoi il y a des risques de tromperie. Le lait, c'est le lait, un produit animal, qui a des qualités. Un liquide végétal, c'est un exsudat, un extrait, ce que l'on veut, mais pas du lait.

D'autre part, passons sans commentaire sur cette volonté de remplacer des produits animaux par des produits végétaux, et arrivons à la question technique qui m'est posée : quel est l'objectif ? Faire une crème pâtissière ? Il faut dire sans tarder qu'une crème pâtissière est une préparation qui comporte des oeufs, du sucre, du lait, de la farine. Toute préparation qui n'est pas conforme à ces critères doit être dénommée autrement... sans quoi on retombe dans la confusion et dans les possibilités de tromperie. Donc une crème pâtissière où l'on utilise un liquide autre que du lait n'est pas, ne sera jamais une crème pâtissière. Sans compter que le lait apporte un goût particulier, et que son remplacement fera un autre goût. Or c'est d'abord le goût qui est important, dans les préparations culinaires.
J'y pense, aussi : si l'on supprime le lait de la recette, pour la raison qu'il est d'origine animale, pourquoi pas l'oeuf, aussi ?

Passons, et considérons donc une recette qui serait faite d'eau, de protéines (l'oeuf et le lait en apportent), de sucre, de colorants, de composés sapides et odorants, de matière grasse (il y en a dans l'oeuf et dans le lait ; on choisira à la fois de triglycérides, par exemple venant de l'huile de graines, et des phospholipides, telle la lécithine de soja). On peut très bien faire une préparation qui aura la consistance d'une crème pâtissière, parce que les protéines bien choisies coaguleront et la farine s'empèsera. Bien sûr, il faut des quantités appropriées.
Par exemple, le jaune d'oeuf (30 grammes environ) contient 50 pour cent d'eau (15 grammes), 15 pour cent de protéines (5 grammes) et 35 pour cent de lipides (10 grammes) ; le blanc (30 grammes) contient 10 pour cent de protéines (3 grammes) et 90 pour cent d'eau (27 grammes) ; pour le lait, il y a 87 pour cent d'eau, 3 pour cent de protéines (3 grammes pour 100 grammes), de la matière grasse (environ autant)...
Pour les protéines, j'y reviens : on choisira des protéines susceptibles de coaguler à la chaleur (pas comme la gélatine, donc. Et l'on aura sans problème une préparation qui aura une certaine tenue.

Je termine par la question qui m'était posée : peut-on remplacer le babeurre par un produit végétal ? Tout dépend pour quelle utilisation, pour quel goût ! Pour la composition, l'eau, les protéines, les lipides, etc. ne sont que de l'eau, des protéines, des lipides, etc. Donc oui, on peut remplacer, mais en relisant la question de mon ami, je vois ce mot "analogue". Une préparation "analogue" au lait ? Le lait, au premier ordre, c'est de l'eau : l'eau est donc "analogue" au lait. D'un point de vue nutritionnel, le lait, c'est des protéines et des lipides : un mélange d'eau, de protéines et de lipides est donc "analogue".
Mais il y a des degrés divers, des dimensions diverses. Par exemple, une photographie noir et blanc d'un tableau de Rembrandt est "analogue". En couleur, c'est "analogue". Une reproduction par un peintre serait "analogue". Mais la copie ne sera jamais l'original.
D'ailleurs, alors que refait surface cette "viande artificielle" obtenue par culture de cellules musculaires, j'invite tous les lecteurs de la revue Pour la Science à lire ces trois articles de cette merveilleuse nouvelle revue scientifique que sont les Notes Académiques de l'Académie d'Agriculture de France (N3AF):

L'adresse : https://www.academie-agriculture.fr/publications/notes-academiques?page=1

Oui, d'abord de la loyauté !